C'est un regard un peu circonspect que l'homme porte sur le marmot. Un gosse haut comme trois pommes, qui doit pas avoir plus de cinq ou six ans, la crinière blonde comme les blés et des prunelles plus bleues que les eaux de l'archipel. Enfin, c'est l'apparence qu'il a pour le moment en tout cas. Un soupir un peu agacé échappe au bonhomme. Les poings sur les hanches, la mine contrite, au final il est bien embêté avec ce machin sur les bras. Qu'est-ce qu'il va faire d'un gosse, hein ? Ah c'est bien beau de l'avoir gagné au gwynt, et c'est vrai que sur le coup ça semblait une bonne idée. Mais tout paraît être une bonne idée quand on a avalé le contenu d'un baril d'alcool et qu'on est plus proche de l'aube que du crépuscule.
On ne va pas se mentir, l'idée de balancer cette graine de doppler dans un coin de forêt avant de détaler au triple galop pour ne jamais y repenser l'a effleuré plus d'une fois. Ce serait si simple. Ceci dit ce serait un peu du gâchis, aussi... Puis soudain les paroles de l'ancien propriétaire de la bestiole lui reviennent : « Tu f'ras attention, il a la sale manie de s'changer en tout ce qui porte de la fourrure. Va pas l'perdre bêtement hein. »

Et c'est l'illumination. Un sourire qui n'augure rien de bon fend son visage d'un bout à l'autre tandis qu'il saisit le bras du gamin pour l'entraîner sans ménagement avec lui. Au final il pourrait bien avoir une utilité pour ce truc-là.

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Au milieu des exclamations presque enragées, les poils volent et un jappement de douleur résonne. Ventre à terre, la queue entre les jambes, le petit molosse file se réfugier dans un coin de l'arène improvisée. Un lambeau de peau sanguinolent à moitié arraché encore accroché à l'échine, il enfouit son museau entre ses pattes avant, comme s'il espérait disparaître.
Un râle agacé et désespéré échappe à Ingvar. Sérieusement, qu'est-ce qui cloche chez cette créature ? Pourtant utiliser un doppler lors de combats de chiens, ça tient du génie ! Non ? Mais si, forcément. Avec une intelligence humaine -paraît-il- il aurait l'avantage, c'est sûr. Quoique là, à en juger par l'issue de l'affrontement, c'est pas gagné. Tout en maugréant dans son épaisse barbe noire, Ingvar bouscule les spectateurs pour entrer dans la lice.

- Dégage, corniaud. bougonne-t-il en écartant l'autre mâtin d'un coup de pied avant d'attraper le métamorphe par la peau du cou, le levant sans difficulté jusqu'au niveau de ses yeux. Toi, t'as intérêt à rapidement me faire gagner de l'argent sinon je te change en descente de lit.

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- Eh vieux morse ! Ca faisait longtemps, dis donc. J'te demande pas comment ça va, paraît que t'as amassé un sacré pactole. T'as trouvé un nouveau champion ?
- Même pas le temps de dire bonjour que tu parles déjà pognon, t'as pas changé, Stigr ! Ingvar part d'un grand éclat de rire en donnant un coup de poing amical dans l'épaule de son compagnon, qu'il invite ensuite à s'asseoir pour lui offrir une bière. La taverne est animée, comme toujours à cette heure du soir, et il peut être difficile de suivre une conversation. Mais la voix de ces deux-là pourrait couvrir n'importe quel brouhaha. Ouais, ça tu peux l'dire. J'ai mis le temps à lui apprendre à se battre correctement, c'était pas vraiment dans sa nature, mais maintenant il pourrait t'arracher la gorge d'un coup de mâchoires !
- Faudra que je voie ça. J'ai entendu dire que c'est un sacré spectacle.
- Freya m'en sois témoin, tu perdras pas ton temps, tu peux me croire. Moi je m'en lasse pas, en tout cas.

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Assis à-même le sol, les jambes ramenées contre son torse, l'adolescent fixe sans sourciller le corps qui gît à moins d'un mètre de lui. Cette jugulaire déchirée, qui a laissé le sang s'échapper pour auréoler le cadavre de neige écarlate, c'est son œuvre. Passé le sentiment de satisfaction de s'être finalement vengé de ces dix dernières années de mauvais traitement, le doppler sent la culpabilité venir le titiller désagréablement. Est-ce que c'est lui, ce genre de comportement ? C'est ce qu'il est, une bête sauvage ? Il ne sait pas vraiment, on ne lui a jamais laissé l'occasion d'y réfléchir. Pour la première fois de sa vie personne ne tient la laisse, et pourtant il n'arrive pas à se décider à s'éloigner. Pour aller où ? Pour faire quoi ? Il ignore même s'il saurait se débrouiller tout seul. Tout seul... Cela lui fait peur soudainement.

Du revers de ses manches il retire l'hémoglobine qui entache encore son visage, puis se lève. Posant un pied devant l'autre, le polymorphe commence à marcher. Où est-ce qu'il va ? Aucune idée. Mais n'importe où sera toujours mieux que ce cabanon moisi qui l'a vu grandir.

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- Et Faelan, ça te plairait ? C'est un vieux prénom de mon clan, il veut dire petit loup. Ca t'irait bien, je pense.
- Hm... D'accord, j'aime bien. C'est mieux que ce que tu as proposé avant, en tout cas !
- Ah mais si môsieur n'est pas content, il n'a qu'à trouver tout seul, hein !

Devant la mine faussement outrée du mercenaire, Faelan pouffe un peu. Leif, c'est un genre de gros ours avec le cœur sur la main. Sa chevelure et sa barbe, aussi rousses l'une que l'autre, commencent à se piquer de blanc. C'est qu'il n'est plus tout jeune, il faut dire. Mais il est encore parfaitement capable d'exercer son métier de mercenaire, sillonnant les îles de Skellige au grès de ses envies et des contrats qu'il décroche. C'est au détour de l'un d'eux qu'il a croisé le jeune doppler, d'ailleurs. Depuis, ils ne se sont pas quittés.

- A propos de pas content, ça me fait penser que les villageois du coin râlent après une soi-disant sorcière, tiens. Faudra qu'on aille voir ça. Tu vas voir que c'est encore une vieille excentrique qui vit avec ses chats au fond des bois et rien de plus, mais bon !
- Mais si jamais c'était vrai... Tu devrais pas laisser ça à un sorceleur ? Juste au cas où.
- Le temps qu'un de ces gros matous se ramène, les gars du village auront eu l'idée d'aller mettre le feu à la masure de la bonne femme. Et si c'est une petite mamie inoffensive... Non, je préfère aller voir moi-même. Ne me fais pas ces yeux-là, y a pas de quoi s'inquiéter. Si jamais c'est bien une sorcière, je la laisse tranquille. Tant qu'on les vexe pas, les mages, ça va. Elle aurait aucune raison de s'en prendre à moi de toute façon.

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Pelotonné contre le corps sans vie de l'ulfhedinn, Faelan n'essaie même pas de retenir des larmes qu'il juge parfaitement justifiées. Ce monstre qu'une épée en argent vient tout juste de transpercer en pleine poitrine a été bien plus que ça à ses yeux. La première personne à le considérer comme un égal, à l'aimer pour ce qu'il était sans jamais essayer de le changer. Il lui a appris à vivre plutôt qu'à survivre, lui a transmis son savoir-faire. Il a été un père pour lui durant ces dernières années.
Oh bien sûr Leif savait que cette fin lui pendait au nez, depuis que sa sorcière d'amante l'avait maudit par pure jalousie, mais sans doute espérait-il pouvoir y échapper encore un peu. C'est humain de vouloir distancer la mort, non ?

- Je suis navré. Vraiment.

Tiens, il l'avait oublié, lui. Le métamorphe relève la tête en reniflant pour porter son regard sur l'homme qui se tient à quelques mètres de là. Haïr ce sorceleur pour ce qu'il vient de faire serait si facile. Mais le chagrin n'empêche pas Faelan de rester lucide. Il sait que cela ne servirait à rien. De toute façon cette histoire ne pouvait pas se finir autrement. Ses mains viennent essuyer ses joues et ses yeux tandis qu'il s'écarte de ce qui fut son père.

- Ca va. Par contre... Vous prendriez combien pour tuer une sorcière ?

Le silence plane de longues minutes. De son côté le sorceleur essaie de déterminer si son interlocuteur est sérieux ou non. Courir après les mages n'est pas vraiment dans les prérogatives de son ordre, et très franchement il n'en a pas envie. C'est beaucoup de potentiels soucis pour seulement quelques pièces d'or. Ceci dit il peut comprendre le désir de vengeance du jeune doppler.

- Cette garce s'arrêtera pas à ça, croyez-moi. Les monstres pour lesquels vous êtes là ? C'est elle qui les attire, ça fait partie de son plan pour tenir les villages du coin à sa botte. Elle les « protège » des créatures contre rétribution et tout se passe bien, mais quand quelque chose la contrarie... Vous en avez un bon exemple. Souffle-t-il en indiquant l'ulfhedinn d'un geste de la main. Je vous donnerai tout ce que j'ai.

L'hésitation saisit l'homme. Ce que lui raconte le polymorphe n'est pas dénué de sens, et à vrai dire cela expliquerait même pas mal de choses et donnerait un sens aux indices qu'il a pu relever çà et là jusqu'à présent. Et puis qui dirait non à un surplus d'or, aussi modeste soit-il ?

- Très bien, je vais m'en occuper. Où se trouve-t-elle ?
- Dans maison sur la côte, au sud. Faites attention, elle a piégé les environs, et beaucoup de loups y traînent. Quand vous voudrez réclamer votre paiement, vous me trouverez à l'auberge dans le quartier du port.

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Plongé dans ses souvenirs, Faelan laisse échapper un soupir. Malgré tout, Skellige lui manque. Depuis qu'il a laissé derrière lui l'archipel le doppler n'a eu de cesse d'errer sur les routes. Comme s'il était incapable de se fixer définitivement quelque part, il trouvait toujours une raison pour prendre la clef des champs. Quand on ne le chassait pas avec fourches et torches parce qu'il avait agacé les mauvaises personnes. Un petit rire passe le seuil de ses lèvres quand il se souvient de ce sorceleur croisé il y a quelques années, et qui a menacé de le transformer en descente de lit s'il lui mettait la main dessus. Ce genre de menaces ne l'atteignent pas vraiment.
En revanche, il doit bien avouer que le fanatisme des fidèles du Feu Eternel l'a sincèrement effrayé. Durant cette période le métamorphe a pris sur lui et adouci son caractère, tout en essayant de se faire plus discret. Finir sur un bûcher ne l'attirait pas vraiment, étrangement.

Aujourd'hui Faelan est satisfait de l'existence qu'il mène. Novigrad n'est pas l'idéal, mais c'est une ville qui a son charme. En quatre ans il a réussit à se faire une petite réputation dans le milieu des mercenaires, et même s'il est loin de rouler sur l'or on ne peut pas le plaindre non plus. La plupart du temps vous le trouverez perché sur les toits, ou bien installé dans un coin en train de lire tranquillement. Et s'il est introuvable... Laissez tomber et attendez qu'il daigne réapparaître. A part si courir après un courant d'air vous amuse.

Pour les adeptes des bestiaires compilés avec sérieux, les dopplers sont des créatures naturellement généreuses et paisibles. Des êtres gentils qui, au fond ne désirent que mener une vie tranquille en se mêlant aux autres espèces. Cette image de bonhomie presque naïve Faelan lui tord le cou. Non ce n'est pas un psychopathe en puissance que vous croiserez dans une ruelle sombre une nuit sans lune avec une dague sanguinolente à la main et un rire dément non plus, n'exagérons rien ! Mais ce n'est pas une bonne pâte facilement malléable à loisirs, ça non.

Monsieur sarcasmes pourrait être l'un de ses surnoms. Manier l'ironie et le second degrés est un art dans lequel il est passé maître, tout comme celui d'agacer ses interlocuteurs en un temps record et ce sans même le vouloir. Parfois on le dit médisant. C'est vrai, il est prompt à la critique. Ceci dit elle est rarement réellement blessante. La plupart du temps le doppler essaie juste de faire de l'humour. Très maladroitement, certes, mais promis il a de bonnes intentions ! Le plus souvent, tout du moins. Avec les personnes qu'il n'aime pas les mots d'oiseaux peuvent rapidement se mettre à voler...
Rien d'étonnant donc à ce qu'il fasse preuve d'insolence. Les figures d'autorité ne se sont jamais attiré sa sympathie, et il aura même au contraire tendance à les railler et leur désobéir tout à fait délibérément, juste sous leur nez. Au risque de se prendre un méchant revers sur le coin du museau, ce qui est déjà arrivé plus d'une fois.

Particulièrement méfiant, il est difficile de s'approcher vraiment de Faelan. Celui-ci paraît très sociable, presque exubérant, volubile à souhait, mais pour apprendre à le connaître en profondeur cela prend du temps. C'est qu'il y a une grande différence entre échanger des blagues devant une bonne pinte et accepter de partager ses pensées et ressentis les plus intimes, voyez-vous. Vous voudriez connaître le passé de notre doppler ? Oubliez ! Vous auriez plus de chance d'obtenir d'un sorceleur qu'il vous débarrasse d'un dragon à l'oeil.

Il y a quelque chose en lui de perpétuellement révolté. La colère est omniprésente, semblable à des braises endormies qu'un rien peut raviver en brasier. En résulte un caractère impulsif et explosif. Faelan aboie davantage qu'il ne mord, cependant il est conseillé de ne pas trop l'asticoter non plus.  Quand trop c'est trop, c'est une véritable furie qui vous sautera à la gorge. Et parfois au sens littéral du terme.
Car bien plus proche des bêtes que des autres créatures humanoïdes, il se complaît à se glisser dans la peau des animaux qu'il a pu croiser au cours de sa vie. Ses formes favorites restent celles des prédateurs, rien que de charmantes bestioles avec des crocs et griffes aiguës. Ou des becs, éventuellement. Voler est l'un de ses plus grands plaisirs, et il plaint les humains, elfes et nains de ne pas pouvoir connaître ce sentiment qui lui semble inégalable. Néanmoins cela ne veut pas dire qu'il rechigne à métamorphoser son apparence pour celle d'un autre bipède sans poils -ou si peu. Il le fait juste moins souvent, surtout qu'il n'en ressent plus le besoin depuis que ces fanatiques du Feu Eternel se sont calmés.

Mais quid des qualités ? Car bien sûr qu'il en a ! Pour commencer, même si c'est dur d'y parvenir une fois qu'on a acquis la confiance de Faelan, on s'acquiert dans le même temps son indéfectible loyauté. D'ailleurs il ne lui viendrait jamais à l'esprit de rompre une promesse. Quand il donne sa parole, il fera tout pour la tenir.
Attentif à ses rares proches, dans l'intimité c'est une véritable peluche qui aime se coller aux autres à la manière d'un chat qui rechercherait de l'attention en permanence. Quitte à déranger quelqu'un dans son travail, et ce sans aucune gêne. S'il se trouve éconduit, Faelan râlera et ira bouder dans un coin avec un livre jusqu'à ce que ça lui passe.
C'est un grand gourmand, et hélas pour lui c'est dans la nourriture que passe la plupart de ses couronnes. Surtout dans les pâtisseries en tout genre, les sucreries ne sont pas une obsession pour ce doppler, mais... Pas loin, vraiment pas loin. Oh il a bien essayé de se sevrer, mais impossible. Malgré lui Faelan y revient toujours. La viande est aussi en bonne position sur la liste de ses aliments préférés, même si pour lui c'est plus facile de s'en procurer sans forcément avoir des pièces en poche. Les cerfs, on peut les chasser. Vous avez déjà vu un troupeau de croissants sauvages, vous ?

Faelan aime passionnément la vie, et en soi c'est une qualité. Profiter de chaque instant, savoir saisir les opportunités, rire dès que c'est possible, il vit pour ça. C'est naturellement un grand optimiste qui s'efforce de toujours voir le bon côté des choses. Il n'est d'ailleurs pas rare de l'entendre chantonner, voire chanter franchement pendant qu'il a les mains occupées à quoique ce soit, en arborant un léger sourire qu'il doit être le seul à comprendre.