Une atmosphère mystérieuse planait sur Novigrad alors que le soleil se levait tout juste sur la ville libre, faisait rougeoyer les toits de ses maisons, réveillait ses habitants.

- Vous vous en êtes occupé ?

Un soleil frappant, brûlant. Presque dérangeant tant ses rayons étaient forts, traversaient les rideaux même les plus épais et réveillaient les plus endormis.

- Il est exposé sur un bûché encore fumant de la ville, comme prévu.

Elle s'appliquait à défaire tous les nœuds de sa longue crinière, un par un, patiemment, en veillant à ne pas arracher de cheveux, à ne pas les abîmer. Un travail patient et minutieux mais ô combien nécessaire.

- Et le véritable doppler ?

Elle avait toujours été fascinée par les propres reflets de ses cheveux au soleil, ils prenaient des teintes qui arrivaient encore à la surprendre.

- Hors de Novigrad.

Un léger sourire se dessina sur les lèvres d'Elerinna. Un sourire en coin, un sourire fier, celui qu'on a lorsque l'on vient d'accomplir quelque chose de particulièrement long. Quelque chose de particulièrement fastidieux, qui a nécessité beaucoup de temps et d'implication mais dont on est profondément fier.

- Et les autres ? Ont-ils été prévenus ?

La jeune femme caressa du bout des doigts les contours de son nouveau bureau en bois orné. Elle l'avait fait venir de Beauclair il y a une semaine, tout comme sa chaise avec accoudoirs au confortable dossier brodé. Elle avait passé beaucoup de temps à s'imaginer ce que ça lui ferait, si ce jour arrivait enfin. Si elle parvenait finalement à découvrir ce secret dont elle pouvait dessiner les contours, sentir le parfum, mais pas saisir le fond. Désormais, il était sien.

Et elle l'avait utilisé.

- Un messager a été envoyé à vos nouveaux collaborateurs.

De nouveau, elle sourit. Ça, c'est simplement parce que ça la faisait marrer.

- Quelle a été leur réaction ?

L'espion sembla chercher ses mots, une première depuis le début de leur entrevue. Lui qui semblait si sûr de lui ne l'était finalement plus tant que ça.

- Et bien...

- Ne me ménagez pas.

Jamais. Elle n'en avait pas besoin.

- Francis Bedlam n'a... pas émis de commentaire. Surin a manqué de s'étouffer avec sa bière et Isa Belgarden paraissait plutôt satisfaite d'avoir une nouvelle femme dans... l'équipe.

L'équipe. Une jolie façon de parler de la pègre de Novigrad, qui dirigeait la ville dans l'ombre, qu'elle venait d'intégrer en démasquant l'usurpateur du Petit Bâtard, dont elle avait simulé la mort, le tout avec brio du moins selon son point de vue. Ça faisait tellement longtemps qu'elle attendait ça. Tellement longtemps. Elle avait du mal à croire qu'elle le tenait enfin dans ses mains, qu'elle avait enfin obtenu ce qu'elle avait toujours voulu.

- Vous pouvez disposer.

L'espion ne se le fit pas dire deux fois. Il lui avait été très utile, elle penserait à le récompenser comme il le méritait lorsque tout serait un peu plus calme. Au loin, elle pouvait presque entendre les cris étouffés des passants qui découvraient le cadavre calciné d'un doppler sur les anciens bûchés de Novigrad. Elle ne savait pas qui était le malheureux qui s'était retrouvé là à la place de Doudou, et elle ne voulait pas le savoir. Ce genre de choses ne la concernait pas, seuls les résultats importaient.

La nouvelle Baronne de Novigrad prit place sur son nouveau siège, puis reposa ses coudes sur les appuis et cala son dos contre le dossier. Très confortable effectivement, même si ça ne justifiait pas le prix qu'elle avait payé. Peu importe, les couronnes n'étaient plus un problème pour l'instant. Elle prit encore un moment pour effleurer sous ses ongles les fleurs détaillées dans le bois de la surface, contourna leurs délicates pétales et leurs épines acérées. Elle se leva ensuite, ouvrit la fenêtre, sortit sur son balcon. Le soleil frappait dur, fort, mais réchauffait sa peau bien trop froide.

C'était donc ça, le pouvoir.