- De naître sans parents, c’est d’arriver en ce monde avec des lacunes encore insoupçonné. Heureusement, la naïveté d’un enfant qui n’a jamais vraiment connu autre chose que la vie en orphelinat joue en sa faveur. Il n’y a pas de jalousie envers les autres ni de questions trop compliquées. On vit exactement comme ce que l’on nous enseigne, on forge des amitiés avec d’autres enfants, on oublie complètement que la vie qui nous attend ne sera guère de tout repos. Il est connu que les orphelins travaillent encore plus dure que d’autres, n’ayant pas la chance de pouvoir reprendre le rôle d’un paternel. Pour les orphelines, la tâche s’avérait encore plus difficile. Sans parents, sans mariage de préparer, sans attrait pour les maris plus honorables, il ne restait que le dure labeur ou encore … le bordel. Nous partons donc tous d’un point commun, au sein de l’orphelinat, mais nos chances de pouvoir partir d’ici  avec un travail plus respectable, eh bien elles ne sont pas les mêmes. C’est là d’où vint ma jalousie pour les garçons. Un homme peut se construire à son image, mais pas la femme, visiblement. Je m’efforçais de les imiter, des simples gestes plus masculins jusqu’à ma façon d’agir. Je ne démontrais pas vraiment d’émotions, usait de coups lorsqu’on m’interdisait de faire telle ou telle chose. J’agissais comme une vraie rebelle, ce qui explique mes nombreuses punitions.

- On essaya de m’inculquer certaines façons de faire, ce que l’on devrait ou ne devrait pas dire … bref, on nous endoctrinait jour et nuit. Cependant, vu mon tempérament, ce ne fut pas étonnant de me voir essayer de m’échapper, jour et nuit, dès qu’on eut le regard tourné. Une vraie novice, alors qu’on réussissait toujours à me traîner jusqu’à ma chambre. Voilà que tout se répétait! Je devais faire gaffe pendant les premières semaines, agissant encore comme une peste, assurant certains enfants qu’un jour, je sortirais d’ici et deviendrait une femme forte, capable d’affronter n’importe qui. On rigolait, on m’imaginait complètement dingue, mais au moins, mes discours avaient le don de me faire paraître toujours aussi décidée à partir, alors que mes gestes en disaient autrement. Je ne tentais aucune fuite, et ce, pendant des mois et des mois. Bientôt, ils baisseraient leur garde, et hop, je tenterais de nouveau! Combien de fois ai-je répété ce plan alors que je me faisais pincer dès que je traversais la porte d’entrée de l’orphelinat? Aucune idée. Une chose est sûre, je n’étais pas la seule entêtée dans toute cette histoire. Mon désir de vivre au-delà de ces murs n’avait d’équivalent que leur volonté à me garder coincée ici.

- À y rêver, jour et nuit, à affirmer mes intentions, voilà que je réussis enfin à m’enfuir, en plein coeur d’une nuit de printemps, fraîche. Horriblement fraîche, à vrai dire, alors que j’étais maigrement habillée pour de telles températures. La victoire me donna l’adrénaline qu’il me fallut pour surmonter la morsure du vent. Quiconque ayant pu mettre les yeux sur moi, à ce moment-là aurait cru que je me faisais pourchasser par des bandits. Je courrais comme si ma vie en dépendait, ne regardant pas derrière une seule seconde. Je ne m’arrêtais que lorsque je me sentis assez loin. Dès mes premiers instants de liberté, je sentis des larmes coulées. La victoire me rendait heureuse, certes, mais maintenant, je ne savais pas ce qui m’attendait. On ne nous avait pas apprit à se débrouiller dans une telle situation, à l’orphelinat, probablement parce que rares sont les filles désirant s’enfuir de la sorte. Cette première nuit fut une prise de conscience saisissante, sans pour autant que je ne regrette mon choix. Me voici à la belle étoile, sans qui que ce soit pour me surveiller et me dire quoi faire.

- Les journées devinrent des semaines, puis des mois, puis des années. Au gré du temps, j’appris à mieux cerner quoi faire pour survivre. Mon esprit rusé fut d’une grande aide, car grâce à lui, je pus entamer mes premiers maigres vols. Oh, mes débuts furent catastrophiques, en grande partie parce que j’hésitais à poser un tel geste. Néanmoins, en voyant l’attitude de certains individus envers ceux et celles en difficulté financière, je me résolu bien vite à ne plus craindre de leur prendre ce qui, en quelque sorte, devrait être partager avec d’autres. Je gardais une partie de mon gagne-pain, l’utilisant pour me payer à manger, ou par temps de grand froid, un lieu où dormir pour la nuit. Malheureusement, lorsque je ne parvenais pas à trouver la bonne victime, je me tournais vers la chasse, et oh, les mésaventures que je connus! Je n’ose pas compter le nombre de proie que j’ai laissé filé, et les nombreuses chutes que je fis. Ce ne fut qu’en pratiquant, en ratant, en tombant et en me relevant, que j’appris.

- Je suis toujours à Novigrad, tantôt à l’extérieur des murs de la ville, tantôt à l’intérieur. Certains des enfants me voient comme leur grande soeur, me donnant ainsi l’impression d’avoir une famille. Je ne pourrais demander mieux, n’est-ce pas? Enfin, c’est ce qu’on croit, en me voyant et en me parlant. On remarque tout ce que j’essaie de dégager, mais on est loin de se douter de mes rêves. Certes, j’ai atteint un but que je croyais impossible en vivant ainsi. Je prouve à d’autres jeunes filles que rien n’est impossible, tant que l’on a la force d’aller de l’avant. Mais après tout ce qui s’est passé dans ma vie, il semble encore me manquer quelque chose. Je vois ces voyageurs entrer et repartir de la ville, je vois tout ces individus marcher vers un futur plus fructueux que le mien. J’aimerais tant faire du sens, j’aimerais tant sentir que mes gestes ont un impact sur d’autres. Pour l’instant, je suis celle qui aide des enfants, et c’est déjà un geste héroïque en soit. Cependant, je cherche plus. Je veux des aventures à couper le souffle et sentir cette même adrénaline qui me traversa les veines, lorsque je m’enfuis de l’orphelinat.

Il n’y a qu’à voir Lyra marcher, elle irradie de confiance et de courage. Elle ne se laisse pas écraser par qui que ce soit. On aura beau se moquer d’elle ou la traiter d’enfant de la rue, la brunette sait pertinemment quelles sont ses capacités. Après tout, l’astucieuse jeune femme sait se tirer de toute situation confondue. Ce n’est pas pour rien que ses pas retentissent encore à Novigrad, et qu’on la croise quotidiennement. Il n’y a pas de poches assez fournies passant dans les environs pour un peu de monnaie? Tant pis, il y a toujours des animaux à chasser et à revendre au marcher. Elle sait se débrouiller comme elle le peut, n’oubliant cependant jamais les autres enfants qui, eux aussi, doivent survivre au jour le jour. Loyale et de bon coeur, elle n’hésitera pas à leur tendre la main. Ce n’est pas pour autant que Lyra souhaite de l’aide en retour. La voleuse ne sacrifiera jamais son indépendance, étant bien trop fière de ses accomplissements pour avouer une quelconque détresse. Malheureusement, cet entêtement se traduit par une attitude presque arrogante, surtout lorsque des gens de la noblesse essaient de faire preuve de gentillesse. Une perspective des choses trop intransigeante, ce qui, tôt ou tard, pourrait se jouer d’elle. Et derrière ce mur de glace, eh bien il se cache une fille timide et parfois lunatique, perdue dans une estime de soi gonflée alors qu’elle devrait retomber sur terre et voir que se comporter ainsi la conduira à sa propre perte. Il faudra quelqu’un pouvant équivaloir son obstination ou même la surpasser, si l’on souhaite un jour la connaître un peu mieux.