La porte se ferme, doucement, emportant avec elle le bruit assourdissant de la pluie alors que tu suis, docilement, la personne que tu suis depuis maintenant longtemps. Tu tousses, très légèrement, avant de scanner le lieu, la main posée sur le fléau que tu portes à la ceinture, essayant d’y trouver des visages familiers dans cette taverne par laquelle vous êtes passés déjà bien des fois. Il n’y a rien de plus que des regards fermés, brouillons, obnubilés par leur chope de bière et tu peux comprendre, tu enfouirais bien ton regard dans un de ses breuvages mordorés. Toutefois, ton mentor te fait signe de le suivre et tu ne tardes pas, les talons de tes bottes claquant contre le parquet déjà attaqué par le temps. Ton regard se pose sur un homme, attablé seul dans son coin, qui semble observer la moindre personne entrant dans le lieu mais tu ne lui accordes guère plus qu’un regard avant de t’installer à une table non loin, où un barde vous attend. Il prétendait avoir des informations pour un contrat qui vous intéressait, toi et Glyenn. Tu ne tardas pas à rejoindre ton mentor, sur un des bancs, faisant attention à ce que tes armes ne viennent pas s’enfoncer ci et là sur ton corps, tu n’avais pas besoin de cicatrices supplémentaires. Tu n’écoutes que d’une oreille ce que le barde tente de faire comprendre au sorceleur à ta gauche, tandis que tu continues d’observer les allers et venues des bonnes gens dans la demeure, ton regard se reposant parfois sur l’homme dans son coin. Toutefois, ton attention est retenue par le barde quand celui-ci la capte avec habileté. « Dites-moi, sorceleuse, votre humble collègue refuse de me répondre, mais peut-être que vous, si ? Connaissez-vous des cas de demoiselle ayant subie la malédiction du soleil noir ? Je cherche l’inspiration pour une ballade et si vous pouvez me glisser quelques informations pour ma composition, je vous aide pour votre contrat. » Tu l’observes, pendant quelques secondes, médusée, prise au dépourvue pour peu que tu n’as plus entendue ses mots depuis bien longtemps et pourtant, ne sont-ils pas gravés à jamais dans ton âme depuis le jour où tu es née ? Si. Tu ne prends pas la peine de jeter un coup d’œil à ton mentor ni même à l’homme dans le coin, ainsi que d’autres clients car tu sais qu’ils attendent ta réponse, qu’ils t’observent, le barde ayant parlé suffisamment fort pour que certains arrivent à l’entendre en outrepassant l’ouïe fine accordée aux sorceleurs. Tu te sens jugée, comme acculée, mais tu as une rage au ventre à l’entente de ses mots qui refusera de s’éteindre si tu ne fais rien. Ton mentor en est conscient. Tu décides alors de retirer ton gant de cuir, le posant à peine délicatement sur la table avant d’ouvrir ta paume en direction du barde, dévoilant une vieille blessure, une vieille marque de brûlure faite au fer, représentant un soleil. « J’en suis une. Je fais partie de celles dont on a affublée une malédiction bidon, et qu’on a chassé de leur maison, de leur pays pour ce simple fait. » Tu ne savais pas de quoi demain serait fait, alors tu te décidas à narrer une partie de ce qui fut ton histoire, ce qui amena la fille d’un jour à celle d’aujourd’hui, en baissant ta voix pour que seul le barde et ton mentor n’entende tes paroles. Un dernier regard fut transmis à celui qui observait en silence, comme si un aimant te poussait à être méfiante, à être curieuse à son égard, sans jamais essayé de briser la glace, et tu ne tardas pas à te retrouver dans les abysses de souvenirs profondément enfouis, enchaînés par les cordes de ta mémoire et ton déni.

Can't tell you why, why we ain't getting high no more, tried so hard. There's something I've been feeling and we're lonely but we never used to be. Either we're arguing or you leave, we both know something's missing.
« Je suis née au-delà des montagnes bleues, là où vous pensez que les dragons existent, là où vous avez exilé des colons il y a de ça des siècles, des rebus de votre société. Je suis née entre les sables chauds et les prairies naissantes. Je suis de ce mélange-là. Et je pensais que mes parents n’avaient pas peur de moi. »


Il y a des cris d’enfant, de joie, de rire, de vie, dans les couloirs d’un palais à l’architecture blanche comme le marbre, luisant aux rayons de l’astre solaire. Tu fais partie de ses enfants, courant, petite lance en bois dans la main, glissant contre le carrelage qui pave les diverses salles du palais. Un dérapage par le couloir est, tu rejoins le hall dans lequel les dignitaires s’agglutinent comme des fourmis autour d’un morceau de pain rassis. Tu t’arrêtes, pendant quelques secondes, retrouvant au milieu de ce beau monde la chevelure rousse de ta nourrice, qui te cherche depuis au moins une bonne heure, courant après ton corps encore enfantin dans la totalité de ce qu’est le palais. Tu entends ton prénom, hurlé au milieu d’une assemblée de cavaliers et de guerriers, d’ambassadeurs et d’aristocrates auto-proclamés. Tu te figes, au sommet des escaliers qui surplombent l’assemblée, attendant que ta nourrice grimpe les premières marches, ta main empoignant doucement la rambarde tandis que ton regard est figé sur elle, le défi se lisant au travers de tes prunelles. Alors que ta nourrice arrive à mi-chemin, tu sautes doucement et te laisse glisser le long des escaliers, sans aucun vergogne avant que tes pas ne continuent de courir au travers de tous ses gens dont tu te fiches. Tu entends toutefois leurs paroles qui alimentent, encore et encore, le feu qui brûle dans tes entrailles. « C’est la fille de la comtesse… ? » Premiers mots, tu soupires. « C’est … la fille maudite ? » Deuxièmes paroles, tu soupires à nouveau en te glissant entre eux. « Pauvres parents. Un seul enfant, une fille, et maudite par-dessus tout. » Tu t’extrais finalement de la foule pour rejoindre les portes ouvertes qui te mènent dans la grande cour où tu es vite arrêtée par les gardes qui te toisent de leur hauteur, t’arrêtant avec leurs hallebardes. Coincée, cernée, tu n’as d’autres choix que de te laisser faire, que de laisser la nourrice t’attraper par le bras pour te tirer au milieu de cette foule qui te calcule avec le dédain et la méfiance habituelle, comme si tu avais la peste. Tu sais que tu vas encore avoir des ennuis, et dans le maelstrom de sons et de paroles, tu en entends une dernière qui brise un peu plus ton cœur d’enfant, qui brise tes rêves. « Les parents n’ont-ils pas posés un contrat pour elle ? » Un contrat pour quoi ? Ce n’était pas comme si tu avais quoi que ce soit à offrir, quand bien même ton statut. Tu ne te poses pas tant la question, tu ne réfléchis pas, tu ne réfléchis plus, tu te laisses traîner par cette femme qui n’est rien de plus qu’une mégère.

Les minutes qui suivent, tu es dans la pièce circulaire qui est celle de ta chambre, seule. Les volets de ta chambre sont fermés, empêchant la lumière de rentrer à l’intérieur et te laissant dans une pénombre uniquement brisée par la lumière de plusieurs bougies. Tu te souviens d’en avoir marre d’être enfermée ici, de ne pas avoir le droit de courir dehors comme tout le monde, comme il y a quelques mois, comme avant. Non, maintenant, tu es reléguée à compter les carreaux du sol de ta chambre, c’est tout. C’est énervant, ça t’agace. Tu tournes dans ta chambre, en rond, tes doigts se balançant dans le vent tandis que tes pieds éjectent les jouets petit à petit sur ton chemin. Bientôt, tu ne fais que ça : des ronds, des ronds et encore des ronds en espérant que le temps s’écoule plus vite. Toutefois, dans un mouvement un peu trop fort, une poupée vole un peu trop haut, dans la mauvaise direction et atteins une bougie qui ne tarde pas à tout enflammer. Tu te souviens de l’agitation soudaine autour de toi alors que tu contemplais les flammes qui se faisaient de plus en plus grande, tu te souviens d’entendre tout le monde hurler autour de toi, de chercher de l’eau, de chercher un mage pour éteindre ceci alors que tu observais, déjà à l’époque, la liberté et les possibilités qui en étaient rattachées brûler avec cette maudite poupée. Le souvenir suivant que tu as de cette journée, ce fut la marque tu portes désormais dans le creux de ta main : une marque au fer rouge avec un soleil qui pourrait être similaire, aujourd’hui, à celui du Nilfgaard. A l’époque, tu avais pleuré, très fort, ne comprenant pas pourquoi cette punition. Et c’était normal. Tu n’avais que six ans. Tu ne te souviens pas de tes souvenirs d’avant, si ce n’est que tu faisais des bêtises, que tu pouvais sortir, que tu avais encore bien d’autres droits. Mais cette année, ces six ans, tu t’en souviens étrangement bien et étrangement mal au même moment. Tu te souviens que tes parents parlaient, à table, de l’arrivée imminente d’un nouvel ambassadeur, de quelqu’un d’important qu’ils connaissaient. Depuis l’incident dans ta chambre, tu ne pipais plus un mot, tu te faisais la plus discrète possible, ravalant la colère qui fulminait en toi, et ce même lorsque tes parents pensaient à t’envoyer ailleurs en attendant que l’ambassadeur ou l’homme important reparte pour ne pas que tu ne fasses d’erreur de conduite ou d’autres maladresses dangereuses. Tu avais compris : tu étais dangereuse. Tu ne savais pas pourquoi, tu ne comprenais pas, et comment le pouvais-tu ? Tu n’avais que six ans. Tu n’avais que six ans et tu étais déjà vue comme dangereuse par ceux qui t’avaient mis au monde. Tu essayais d’être irréprochable, d’être la plus sage possible mais c’était comme si tout te rattrapait : tu cassais des choses sans le faire exprès, quand tu parlais, tu utilisais les mauvais mots, tu renversais du thé, tu… Tu enchaînais les maladresses qui commençaient à être perçues comme de véritables coups du sort, comme de véritables choses faites en dépit du bon sens, et à défaut d’être comprise comme une maladroite… Tu finis par les faire exprès, par colère. Tu n’avais que six ans, tu ne pouvais pas comprendre que tout ceci te retomberait sur le crâne. Oh non. Tu ne pouvais pas croire que tes parents, aux origines des îles de Skellige, au-delà des montagnes bleues, appliqueraient des méthodes bien peu coutumières pour te rendre la monnaie de ta pièce.

Un jour arriva, pluvieux comme tu l’avais rarement vu par ici, et tu étais assise sur le rebord de ta fenêtre dont on avait laissé les volets ouverts, pour une fois. Tu avais un livre entre tes mains, dont tu essayais de déchiffrer la totalité des mots, cherchant la culture que tes parents essayaient tellement de t’inculquer. Tu savais que c’était le quatrième ouvrage ce mois-ci, et qu’il devait encore durer quelques jours avant que tu ne fasses quelque chose pour le détruire. La journée, cependant, ne se déroula pas comme à son habitude ; une régularité qui fut brisée dans l’après-midi que tu pensais la passer seule, enfermée dans ta chambre. Tu t’étais résolue à éviter de fuguer par la fenêtre quand tu avais failli glisser et probablement mourir. Tu n’étais pas particulièrement curieuse à l’idée de mourir. Toutefois, il en demeurait que tu étais là et que bientôt, tu entendis des bruits de pas en ta direction. Tu reconnaissais sans mal le pas mesuré et claquant de ta mère mais le pas qui l’accompagnait était plus lourd, plus traînant. Ce n’était pas celui de ton père, mais en même temps… Tu ne voyais que très peu ton père, trop occupé qu’il était par les affaires d’état qui demandait bien plus de son temps que tu ne l’imaginais probablement. Les punitions, l’éducation, toutes ces choses, c’était ta mère. Ton père, pour le peu que tu ne le voyais, arrivait à donner ces quelques étincelles d’affection dont tu avais besoin mais qui n’effaçait nullement la honte et la crainte que tu savais qu’ils ressentaient pour toi. La porte s’ouvrit, et bientôt, le regard dur de ta mère se posa sur ta petite personne tandis que tu détaillais l’homme à côté d’elle. Il n’était pas particulièrement beau, tu décrétais, mais il ne te faisait pas peur, malgré les deux épées qu’il avait dans son dos. Ta mère le regarda, s’approcha de lui, murmura quelques mots avant de sortir de la pièce sans un regard pour toi. Tu étais habituée, déjà, à ce moment-là, à cette ignorance qui ne faisait qu’alimenter la rage. L’homme s’approcha de toi et soupira, doucement, avant de poser le papier qu’il avait entre les mains sur le rebord de la fenêtre. « Soma, c’est ça ? Ta mère.. veut que tu viennes avec moi. Prépare tes affaires, on va partir. » La seule chose à laquelle tu pensas, ce jour-là, à peine âgée de six ans, c’était que tes parents t’avaient trouvés quelqu’un pour te garder le temps que leur ambassadeur vienne et reparte, pour ne pas que tu les humilies. Tu étais en colère, mais tu comprenais, à ce moment-là. Tu comprenais leur décision, ou peut-être était-ce celle de ta mère, uniquement ? Tu n’en savais rien. Tu ne vis pas ton père avant de partir, tu ne vis pas ta mère, tu ne vis personne si ce n’est le garçon d’écurie qui t’aida à grimper sur le cheval de l’homme qui devint ton seul pilier, Glyenn Lucca. Les premiers jours furent difficiles, et après quelques semaines, quelques mois, il se résolut à t’expliquer que tu ne retournerais jamais là d’où tu venais, que tu reverrais probablement jamais tes parents, et au final… Tu te rendis compte qu’ils ne te manquaient pas tant que ça. Tu te sentais abandonnée, bien évidemment, mais… Ils ne te manquaient pas. Ton père peut-être un peu, Woopie, le chien de la cour, aussi, mais … Au final, ce n’était peut-être pas si grave. Mais à six ou sept ans, tu étais loin de te douter que toute cette colère, cette désillusion, reviendrait avec force plus tard. Non, à cet âge-ci, tu acceptais ton sort, tu acceptais que ce sorceleur t’entraîne pour devenir l’un des siens, tu acceptais cette nouvelle vie sans sourciller parce qu’il ne te regardait pas avec méfiance comme les autres. Tu étais devenue, en l’espace de six ans, le miracle de tes parents puis le cauchemar dont il fallait se débarrasser, quitte à perdre l’hériter. Tu n’avais que six ans, qu’est-ce que tu pouvais comprendre ?

Let's draw a line in the sand, keep it straight and narrow. We had it all in our hands, We begged and then we borrowed.
« L’école du rat. Une école secrète dont peu entendent parler parce qu’ils n’officient guère dans les parages, et qu’ils préfèrent être discrets. Nomades et polyvalents, ils sont les rebus des autres écoles. Ils n’utilisent que rarement des épées classiques, ils savent… Ils savent se battre différemment. Et c’était différent avec lui. »


Tu avais treize ans, tu étais colérique, tu étais énervante et énervée, emplie de cette rage mutine provenant des profondeurs de ton enfance. Tu ne trouvais rien pour apaiser les méandres d’une colère trop longtemps restée sous la surface, là où les abysses menaçaient de tout avaler, jusqu’à ta propre conscience. Et tu en avais marre. Cela faisait maintenant sept années que vous traversiez des pays entiers en quête de quelque chose qui s’était avéré être détruit. Oh, tu avais vu la colère, la tristesse sur le visage de Glyenn mais tu ne l’avais qu’à peine compris en voyant les restes d’une forteresse où plus aucune âme ne vivait, tristement. Vous aviez arpentés les montagnes bleues pour rejoindre un continent dont tu ne connaissais rien d’autre que des légendes, vous aviez parcourus de nombreux villages, de nombreux pays. Vous vous étiez arrêtés à de nombreux endroits en ce monde et il vous fallut bien deux années, avec de nombreux arrêts, pour arriver au cœur de ce qui était l’Empire du Nilfgaard, devant une forteresse abandonnée qui laissait ton mentor dans un état de tristesse que tu ne pensais pas voir sur lui. Vous avez passés l’hiver là, à fouiller les anciennes pièces pour trouver des ouvrages qu’il te fit apprendre par cœur par la suite. Le printemps arrivé, ce fut l’entraînement qui suivit, agilité, endurance, tout. Il essayait de faire en sorte que tu sois capable d’être agile, d’être forte malgré ta constitution plutôt fine, beaucoup trop svelte et si peu appropriée à son métier. Pourtant, il voulait te forger à son image, à son métier, déconstruire une partie de ton éducation pour que la délicatesse de ton ancienne position disparaisse et fonde comme neige au soleil. Alors, tu l’écoutais, tu lisais les ouvrages sous la lueur de la bougie, tu courrais autour de la forteresse au petit matin, tu t’entrainais au combat au corps au corps, tu apprenais tout un tas de choses jusqu’à l’alchimie même qui était pourtant réservée – tu l’avais bien compris à mesures des lectures – aux sorceleurs ayant les mutations que tu ne pourrais probablement jamais avoir, réservées au corps masculin. Mais rapidement, vous quittiez cette forteresse qui contenant encore les fantômes de son enfance, les fantômes de ses collègues probablement morts ci et là sur le continent et votre chemin se faisait à nouveau.

Vous avez quittez Nilfgaard pour vous enfoncer un peu plus au nord, Glyenn t’apprenant un peu plus chaque jour. Tu te souviendrais toujours du jour où ce fut le moment d’apprendre la méditation, où il t’apprit à vider ton esprit pour pouvoir te concentrer sur tout ce qui était autour de toi, pour pouvoir trouver quelque chose à quelques mètres autour de toi juste à l’écoute. Il t’apprit à contempler le silence, à admirer la justesse de ce qui était le vide. Pendant six ans, ce ne fut que vous deux. Parfois, vous rencontriez d’autres comparses sorceleurs, d’autres écoles. Ours, Manticore, Loup. Des sorceleurs qui refusaient catégoriquement de te donner les enseignements de leur école, des enseignements que Glyenn ne pouvait pas véritablement t’apprendre parce qu’il n’était pas lui-même un formateur. Il n’était qu’un élève qui pouvait te transmettre qu’une partie de son savoir mais pas les secrets d’une école qui était morte, tuée par le Nilfgaard, l’empire qui accueillait le berceau des vipères. Toutefois, ce n’était pas perdu. Tu apprenais vite, curieusement, et même s’il ne te donnait pas encore des cours d’escrime, tu trouvais une certaine aisance dans pleins d’autres domaines, dont ceux qui étaient de la discrétion, de la traque et tu savais presque utiliser correctement un arc. C’est d’ailleurs lors d’une traque au cerf dans les bois de Kaedwen que vous tombèrent sur celui qui devint ton second mentor. Tu suivais les traces, Glyenn derrière toi, ton arc en main et tu le bandas, près à tirer avant qu’il ne te stoppe quand une flèche transperça l’animal en quelques secondes. Il y eut un silence pesant, pendant quelques secondes, avant que ton mentor ne s’avance au-delà de toi, près de l’animal et qu’il se retrouve presque en joue par un homme de taille égale, sur lequel pesait inexorablement le poids de l’expérience. Tu pouvais voir, à son profil, des oreilles d’elfe qu’il exhibait, couvertes d’anneaux en argent. Il retira son arme – une épée courbée – du cou de ton mentor avant de jeter un coup d’œil aux alentours, son regard s’arrêtant non loin de toi, et qu’il te demanda de sortir de ta cachette. En quelques secondes, toute la pesanteur retomba quand Glyenn lui donna un coup dans les côtes en lui crachant d’arrêter de faire le con et qu’une embrassade se fit sous tes yeux crédules. Il s’appelait Rodànn – tu ne lui demandas jamais son nom de famille – et il était d’une école que tu n’avais jamais lu dans les ouvrages sur les histoires des sorceleurs : le rat. Son médaillon tremblait de la véracité de ses propos, et tu ne tardais pas à être curieuse de ce personnage qui possédait une personnalité haute en couleurs et qui, malgré ça, demeurait un véritable tortionnaire quand il était question d’entraînement. Tu l’appris à tes dépends. En effet, il accepta de t’entraîner, toi, pour devenir une sorceleuse, pour te transmettre le savoir de cette école secrète et nomade, dont la forteresse fut décimée il y a des siècles de ça, bien avant leurs naissances respectives. Toutefois, il n’accepta qu’à la condition que Glyenn reste, qu’à la condition que le sorceleur vipérin reste dans les parages. Bientôt, vous étiez de nouveau sur les routes, avec de nouveaux savoirs à apprendre pour toi. Tu étais toujours sur la jument du vipérin, pendue aux lèvres du rat tandis que, sur les routes, il t’offrait la théorie de tout ce que tu allais apprendre.

We already know, we've seen it before. They've been throwin' us crumbs, don't be askin' for more.
« J’ai appris par la pire des leçons ce que c’est d’être une femme au milieu d’hommes, loin des terres tolérantes où j’ai grandis. J’ai appris par le sang et le bâton que tant que je n’aurais pas démontré que je peux les mettre à terre, je ne serais pas respectée comme égale. »


Tu te souviendras, toujours, de ce jour, celui où tu compris, avec une certaine aisance que tu ne serais jamais leur égale. Du moins, pas tant que tu aurais prouvé que tu valais quelque chose, que tu étais également capable de porter une arme et de les mettre à terre avec celle-ci. Vous étiez retournés au Nilfgaard, enfoncé dans les déserts sablonneux, loin des villes les plus prospères de l’Empire – ou du moins, c’était ce que Glyenn t’avait expliqué. Vous aviez arrêté votre périple dans un petit village non loin duquel se trouvait une arène de fortune, installée sur les ruines d’un vestige elfique. Le jour, Rodànn et Glyenn t’emmenaient à l’extérieur du village, sous les rayons brûlants du soleil et te poussaient, encore et encore, à t’exercer avec une arme que tu n’arrivais pas à maîtriser. Une épée que tu trouvais si peu accommodante, que tu n’arrivais pas à tenir correctement, que tu échappais bien plus souvent que tu ne le voulais. Tu t’attirais leurs foudres, leurs soupirs d’exaspération à chaque fois que tu ne réussissais pas une parade, que tu n’arrivais pas à tenir l’épée correctement, que tu souhaitais faire un mouvement mais que celui-ci paraissait si forcé qu’il perdait toute sa surprise. Il était évident que l’épée n’était pas ton fort, mais ils n’avaient pas d’autres moyens de t’apprendre, non. Alors, quand au bout de deux heures sous le soleil, ils n’arrivaient toujours pas à te faire réussir une parade, ils décidaient de passer à la théorie, t’apprenant tout ce qu’il y avait à savoir sur les monstres, à défaut de te faire réussir à tenir une épée. Cependant, ce fut le soir que tout se passa, ce jour-là. L’arène était animée par des combats entre les différents guerriers de la région, les villageois les plus passifs apprenant à apprécier ce genre de divertissement qui égayaient leurs journées les plus calmes. Vous passiez à côté, pour retourner à l’auberge, quand tu entendis Rodànn et Glyenn discuter sans pour autant réussir à attraper les mots qui s’échappaient de leurs bouches. Toutefois, tu te souviens de l’œillade qu’ils eurent en ta direction, une œillade qui te laissa perplexe jusqu’à ce qu’il te pousse à l’intérieur de l’arène pour participer. Tu ne voulais pas au début. Tu ne voulais pas te ridiculiser car tu ne connaissais guère grand-chose au combat à mains nues et tu te débrouillais si mal avec une épée que ça en deviendrait douloureusement ridicule pour tout le monde. Mais tu acceptas ton sort, tant bien que mal.

Tu te trouvais alors dans l’anneau de l’arène, seule, observée par les quelques villageois présents et Glyenn, dans les tribunes. Tu ne portais même pas d’armure, juste quelques plates de cuir, rien de plus et tu sentais, au travers de tes bottes, le sable encore chaud sous tes pieds. Toutefois, tu observas le lieu et le râtelier d’armes qui était mis à disposition. Il y avait de tout : épée, lances, maillet, hache. Tu étais sûre que ce n’était pas tes combats à mort, tu avais entendu les règles et c’était au premier sang que le combat se stoppait, pour le vainqueur. Tu remarquas, un peu plus loin, Rodànn qui discutait avec le maître des paris et celui qui disposait des règles de chaque combat, acceptant parfois des combats plus particuliers (dont ceux à mort pour ceux qui n’avaient pas le cœur de faire loi de la justice impériale – ou du moins, c’est ce que tu avais compris des racontars des villageois) pour des clients qui allongeaient un peu la monnaie. Tu t’étais dirigée vers le râtelier d’armes, attrapant une épée, pensant que c’était ce qu’il fallait que tu fasses. Tu étais encore toute seule, pour quelques minutes seulement, avant que Rodànn ne descende de la tribune pour te rejoindre dans l’anneau de combat. « Gamine, il faut que tu me battes. » Ce fut les seuls mots qu’il te prononça et bientôt, l’acier se frotta à l’acier dans un ballet disgracieux car tu n’arrivais qu’à peine à tenir ton épée, tu trébuchais par manque d’équilibre et bientôt, ce fut avec un coup de pied dans l’estomac que tu fus éjectée de ton reste d’équilibre et que tu roulas dans le sable. Le silence dans l’arène était palpable et tu sentais les larmes monter à tes yeux alors que tu étais désarmée, fragile et vulnérable face à un sorceleur de plus d’un siècle qui pouvait aisément faire de toi ce qu’il voulait. « Lève-toi et bas-toi. » Tu toussais, crachant du sable que tu avais avalé dans ta chute, tes yeux essayant de trouver ton épée qui se trouvait son pied et il semblait bien décidé à ne pas te la laisser. Etait-ce ne serait-ce qu’utile ? Tu ne valais rien aux yeux du sorceleur qui se prétendait ton deuxième mentor, tu ne valais plus rien aux yeux du monde qui t’avait rejeté pour une malédiction que tu n’avais jamais compris. Tu sentais le regard de Glyenn sur toi et la déception coulant sur ton corps parce que tu l’étais. Tu n’étais pas capable d’être la sorceleuse qu’il avait vu en toi. Tu n’étais pas capable de tenir une épée et de démontrer que tu n’étais pas aussi fragile que toutes les filles de noble. Tu n’étais plus grand-chose alors qu’avais-tu à perdre à te laisser mourir sous l’épée de celui qui essayait de t’apprendre les techniques de l’école du rat ? Tu ne pouvais composer avec leurs apprentissages. Les coups étaient tous plus durs les uns que les autres et tu ne savais véritablement rien faire. Tu n’étais pas dotée de magie, tu ne connaissais rien de l’art du combat, et la théorie t’échappait encore de bien loin. Tu serais une bien piètre sorceleuse. Tu entendis Glyenn crier depuis la tribune et tu relevas les yeux pour voir Rodànn s’approcher, le regard sombre et le visage fermé comme lorsqu’il tua le griffon qui vous amena sur son chemin. Tu t’appuyas sur tes deux mains, une nouvelle volonté naissante dans le creux de ton ventre, alors que tu observais l’anneau et les possibilités que tu avais. Parmi les coups qu’il t’avait mis et qui t’avaient éjecté au-delà du sol, tu remarquas le râtelier, tombé au sol avec les armes éparpillées ci et là dans la débâcle. Tu te relevas alors, essayant d’être la plus rapide possible et tu attrapas la première arme que ton instinct t’avait poussé à prendre : une lance. A l’époque, tu n’aurais su dire s’il s’agissait d’une barbiche ou d’une guisarme ou encore une hallebarde mais tu l’attrapas, zieutant les deux lames à chaque bout et tes mains, habituellement disgracieuses et peu assurées, trouvèrent naturellement leur place sur le manche, comme si tu étais faite pour cette arme. Comme si tu avais trouvé ta destinée dans un façonnage d’acier.

Tu te redressas alors, tes deux mains sur l’arme, alors que tu jetais un coup d’œil à ton mentor qui s’était stoppé et dont le visage était fendu d’un léger sourire. Tu inspiras alors et tu attendis, patiente, que ce soit lui qui s’avance le plus possible pour frapper son coup que tu paradas d’un mouvement presque gracile – mais encore maladroit – de la lance, envoyant valser son épée en arrière, son bras suivant le mouvement et tu profitas de cet instant de maladresse pour donner un coup en diagonale au niveau des genoux, la lame venant percer le tissus qu’il portait à la poitrine pour infliger quelque chose que tu n’avais pas fait depuis que vous vous connaissiez : le premier sang tandis que le coup aux genoux le fit tomber au sol par manque d’équilibre. Tu te reculas, en esquive, comme ils te l’avaient appris, une fois le coup passé tout en gardant une stature défensive, la lance bravant ton corps avec la diagonale parfaite de l’arme. Tu ne savais pas si tu avais bien fait mais lorsque tu entendis les quelques applaudissements de Glyenn, tu compris alors que tu avais, pour une fois, fait la bonne chose, le bon mouvement mais surtout : tu avais trouvé ton arme. Tu observas cette arme qui était plus grande que toi, plus grande que ta petite personne d’à peine quinze ans, tu observais les rayons de la lune qui se reflétaient sur le manche rutilant et tu eus un léger soupir de soulagement. Tu n’allais pas mourir. Pas aujourd’hui. Tu sursautas, bien évidemment, quand tu sentis la main de Glyenn sur ton épaule et que bientôt, celle de Rodànn passa dans tes cheveux bruns. Tu n’allais pas mourir, tu n’allais pas finir enterrée dans le sable de Nilfgaard. Non, tu allais continuer, avec la lance. Peu de temps après ce moment crucial de ton histoire, tu compris que le fléau était également une arme avec laquelle tu arrivais à t’exercer, mais à jamais… à jamais l’épée fut bannie de ton équipement. Inutile et inappropriée à la manière que tu avais de te battre. Non. Toi, c’était la lance et le fléau, l’allonge et la force brute apportée par l’arme, chose que tu ne pouvais faire avec ton propre corps car tu ne l’avais pas.

Somebody told me that there's two sides to this life. I think I might've chosen darkness over light.
« Rodànn était dur, mais rien n’a été plus difficile à avaler que la réalité que l’on me cracha à la tronche lors de mes vingt ans. Ce n’est pas que j’ai vécu dans un mensonge jusqu’ici, mais la réalité n’était jamais complète, et malgré les ouvrages… je n’ai jamais trouvé un mot sur ce qui était le mal qui me fit partir de chez moi. Mais j’ai aussi rencontré des gens extraordinaires en réponse de cette nouvelle, que je n’ai jamais oubliée. »


Après avoir découvert que tu étais infiniment nulle avec les épées, vous avez quittez Nilfgaard. Le manque de contrats dans cette région était de plus en plus senti et le Nord vous appelait par instinct, comme si un sort de magnétisme était en route. Peut-être était-ce la destinée ? Tu ne savais pas vraiment. A cette époque, la destinée était un concept dont tu ignorais tout jusqu’à même son origine. Même maintenant, avec du recul, tu avais du mal à croire à la Destinée, mais tu pensais sérieusement qu’il n’y avait pas qu’une simple coïncidence pour tous les évènements qui se déroulèrent cette année-là. Toutefois, vous aviez quitté le Nilfgaard, ses déserts et ses armées pour rejoindre une région qui n’était guère plus en paix : Velen et Novigrad. C’était la première grande ville, véritable, que tu voyais depuis ton départ de ta ville natale et tu avais bien changée depuis. Tes cheveux s’étaient allongés, coulant contre ton dos en une natte serrée, tes traits s’étaient creusés, ta poitrine s’était gonflée et les cicatrices s’étaient rajoutées à ton corps, des cicatrices que tu gardais cachées sous tes vêtements déjà à ce moment. Toutefois, tu avais suivi Rodànn et tes oreilles s’étaient agrémentées de quelques bijoux d’argent, les seuls petits bijoux que tu t’accordais en cette époque-ci. Il en demeurait que vous vous étiez arrêtés à Novigrad pour quelques temps. Glyenn voulant que tu redécouvres un peu la vie en société, la vie avec d’autres êtres humains, la vie en ville, et ce, pour ton vingtième anniversaire. Ainsi, votre arrivée se fit à l’aube de ce nouvel âge, et vous ne tardèrent pas à trouver refuge dans une auberge pour quelques nuits. Et cette première nuit… Tu t’en souviendrais probablement toute ta vie, même si elle était banale en comparaison de bien des choses que tu avais pu vivre auparavant. Mais, même maintenant, tu trouvais ça curieux la façon dont la mémoire fonctionnait, te faisant te souvenir de choses qui paraissaient pourtant anecdotiques et te faisait oublier des pans entiers qui pourtant auraient été importants. Cette nuit-là pouvait paraître anecdotique pour bien des yeux, pour bien des oreilles, mais pas pour ton cerveau qui se souvenait absolument de tout. Vous étiez attablés, dans une auberge, et tu te souvenais parfaitement de l’odeur du poulet qui circulait ci et là dans le bâtiment, du bruit des chopes de bière, de l’odeur du vin qui tâchait les tables et le bruit, encore, des cartes de gwynt qui étaient abattues sur la table d’à côté. Tu te souvenais aussi d’avoir écouté, pendant un moment, Rodànn et Glyenn discuter politique, de ce qui se tramait de l’autre côté de la Yaruga, des Montagnes Bleues, de tout ce mélange qui ne t’intéressait pourtant pas.

Tu te souviens, aussi clairement que si tout ceci était arrivé hier, du regard de Rodànn sur tes mains que tu avais laissées nues et de son regard en biais sur la marque sur ta paume. Un regard qu’il dirigea vers Glyenn, curieux, avant que sa voix ne tranche le silence qui s’était abattu sur votre table. Un silence pourtant agréable, confortable, qui avait tout pour durer mais qui fut abattu par cette simple remarque. « Qu’est-ce que tu as la main, gamine ? C’est un soleil ? Une brûlure ? » Tu avais posé tes yeux sur la marque dont le relief de la brûlure cicatrisée luisait grâce aux rayons de la bougie qui était non loin et tu lui expliquas, brièvement, qu’il s’agissait d’une marque apposée à ta main comme punition mais que tu ne savais pas vraiment pourquoi c’était là, pourquoi il s’agissait d’un soleil. Et tu entendis le soupir de Glyenn, celui d’un homme fatigué, qui couvait un secret que tu suspectais depuis longtemps, un secret qu’il n’osait nullement mentionner pour des raisons inconnues. Et ce soir-là, il parla, il vida un sac qu’il avait dû se jurer de ne jamais vider. « Ce soleil, c’est pour la malédiction du soleil noir, Soma. Une malédiction bidon qui a été prononcé par un mage bidon il y a de ça des siècles, une malédiction qui ne touche qu’un certain nombre de filles que l’on pense être possédée et qui, selon la prophétie, devraient remplir les rivières et fleuves de sang. Je n’y crois pas, personnellement. Ce n’est qu’une excuse. A l’origine, il ne s’agissait que de soixante filles, mais certains… Certains pensent que ce nombre se renouvelle à chaque soleil noir. Et tes parents pensaient que tu es maudite par le soleil noir car tu es née sous une éclipse et que tu étais turbulente, encline à de la violence gratuite. C’est pour ça que je suis venu à toi, Soma, parce qu’on m’a demandé, au départ, d’exterminer la malédiction ou de t’éliminer. » Tu te souviens de ses mots comme s’ils étaient gravés au fer rouge comme cette marque sur ta paume : exterminer la malédiction, ou toi. Il n’y avait pas d’alternative si ce n’est celle de te prendre et de prendre en charge la possibilité que tu sois maudite. Ce soir-là, en entendant ses mots-là, tu sentis la rage passée grimper en flèche comme si on avait fait couler de l’alcool sur un petit feu. Une colère que tu retenais depuis que tu avais quitté tes parents, depuis qu’Hakland était loin. Et tu étais partie de la taverne, emportant avec toi ta lance et ton fléau, sans te soucier de quoi que ce soit d’autre que d’être loin du lieu où tu te sentais étouffée par la force des paroles qui furent prononcées ce soir-là. Tu étouffais, comme asphyxiée par une réalité que tu n’avais jamais connue, par la réalité que tes parents s’étaient débarrassées de toi simplement parce qu’ils craignaient une malédiction stupide et qu’ils pensaient que tes agissements turbulents étaient les prémices d’une psychopathie cachée.

Tu ne connaissais pas Novigrad, pas du tout même. Et c’est pour cela que tes pas étaient tremblants, chancelants, tes talons s’enfonçant trop de fois dans les pavés pour que tout soit parfaitement normal. Tu étais arrivée sur les quais, au bout d’un moment, et tu continuais juste à marcher le long de ces-derniers, l’odeur du poisson remontant à tes narines comme le sel de la mer à portée. Tu tombas, à genoux, ton talon s’étant pris dans un filet de pêche laissé là par un marin, et tu observas, tristement, ton reflet dans la flaque d’eau sous tes doigts gantés. Tu reconnaissais chaque cicatrice portée par ton visage, tu voyais tes oreilles dont les anneaux argentés brillaient à la lueur de la lune, mais tu ne reconnaissais pas celle qui avait vécu dans une facétie, dans une vérité négligée et saumâtre, tu t’étais comme perdue en chemin. Avec plus de concentration, tu aurais dû sentir la main sur ton épaule venir et pourtant, tu fus surprise comme si tu n’avais jamais eu la moindre formation de sorceleur. Ta main ne s’était même pas posée sur ton arme, tu sursautas juste à tel point que tu te laissas tomber sur le flanc, ton regard levée vers une jeune femme aux cheveux pâles et à la peau de porcelaine, comme la tienne. Au vu de ses vêtements, tu pouvais aisément deviner qu’il s’agissait là d’une prostituée, bien jeune, probablement ton âge à vue d’œil. Elle était jolie, tu devais bien l’avouer mais n’était-ce pas là le majeur atour de ces femmes-là dont l’outil de travail était le corps et le charme. Un soupir fendit tes lèvres ourlées et striées par l’angoisse et tu attrapas sa main pour te relever, dégageant sans trop de mal ton pied du filet et pendant quelques secondes, tu fus presque décidée à partir, à quitter les quais pour rejoindre un autre endroit mais… Non, ton action fut tout autre. Tu donnas quelques couronnes à la prostituée et vous partirent dans une chambre. Aucun acte charnel ce soir-là, non. Tu avais besoin d’une compagnie, d’une oreille extérieure, d’une oreille féminine, tu avais besoin de quelqu’un. Et ce quelqu’un… Ce fut Rinna, la prostituée des quais de Novigrad. Une nuit se transforma en plusieurs, des banalités devenant des confessions faites sur des oreillers de coton, pauvres en luxe, des pleurs devenant des rires, des plaintes devenant des états de faits, et la méconnaissance devint une amitié solide, basée sur la fortune d’un évènement tel que votre rencontre qui aurait pu se délier de quelques secondes et jamais arrivé. Tu trouvais en Rinna quelqu’un qui savait t’écouter et que tu écoutais en retour, toute deux tombées dans la triste réalité d’une famille rejetant un enfant pour une excuse, une raison qui paraissait aussi juste qu’injuste, orphelines par faute, par circonstances. Orphelines par la force des choses et pourtant, tu trouvais une forme de sœur dans cette jeune femme qui arborait ton même âge et qui vivait probablement plus durement que toi et que tu aurais aimé aider mais que tu ne pouvais pas, par manque de moyens, par manque de possibilités. La seule chose que tu pus lui offrir, ce fut une promesse de retour à ton départ de Novigrad, un médaillon de l’école du rat en plus et une lance en argent. Tu lui promis de revenir, de lui offrir la chose la plus surprenante que tu aurais un jour, comme un droit de surprise. A cette époque, tu pensais à un bijou… Ce ne fut pas vraiment le cas, plus tard. Il en demeurait que, cette jeune femme, elle fut ton soleil doré quand une malédiction obscure pesait sur ton propre astre, elle fut l’amie dont tu avais terriblement besoin dans un moment où la détresse était aussi accablante que la réalité d’une partie de ton existence. Elle fut un rayon de soleil dans un brouillard tempétueux, marbré par des nuages nébuleux et sinistrés qui tournaient au-dessus de ton crâne comme une épée de Damoclès. Et en ce jour brumeux, tu décidas de quitter ce prénom pour un qui te paraissait plus naturel : Mirage. Car tu étais ainsi, impétueuse et aussi imprévisible qu'un mirage au milieu d'un désert chaud. Tu étais une illusion de ce que tu fus par le passé, une carcasse défectueuse aux yeux de tes parents et pourtant l'oasis pour ceux qui te gardèrent avec eux. Un mirage. Tu choisis Mirage pour l’illusion que tu pouvais être et ce que tu aimais à paraître, pour tout ce que tu cachais et tout ce que tu exposais, pour ce que tu pouvais être et ne pas être, pour la multitude de couleurs et de masques que tu portais, pour la totalité d’une histoire que tu préférais garder secrète. Tu choisis Mirage pour la délicatesse d’une illusion et la brutalité du désespoir une fois l’illusion brisée. Tu choisis Mirage parce que tu en étais un, une toile décharnée par la réalité saumâtre de ton passé, parce que tu ne serais jamais plus Soma de Stormwall, tu ne serais jamais plus la fille héritière d’une ville dont tu aurais possédé les rênes. Non. Tu serais Mirage Stormbringer, le mirage portant les tumultes du désert, portant la tempête de tes turbulences, de ton insolence et de la colère d’avoir été ainsi promise à l’annihilation. Tu étais le mirage du désespoir, qui ne portait ni joie et ni espoir dans la mort de tes futurs ennemis, tu serais le mirage que l’on redoute dans l’ombre, dans l’essence du désert. Tu serais l’espoir brisé dans la famine et le manque d’eau, dans les dernières minutes de vie. Tu serais tout cela. Tu serais la force dissimulée sous un visage délicat, qui brisait son nom ancien dans les ruines de souvenirs désertiques. Soma n’était plus. Mirage, c’était ce que tu étais devenue et ce que tu étais. Mirage, la sorceleuse née sous le soleil noir, sous l’éclipse maudite qui conférait anathèmes et sortilèges.

Don’t cry too soon. Oh, I can’t stay with you. Oh, I won’t stray away from the truth and I still want to love on you.
« Ce soir-là, il nous arriva à tous quelque chose. J’ai connu la vie comme la mort, Glyenn perdit épée et ami, et Rodànn… Il disparut sans que l’on sache ce qu’il en advint de sa vie. Ce soir-là, nous avons autant noué avec la vie qu’avec la mort. »


Tu ne sais pas ce qu’il se passa véritablement, dans les années qui suivirent. La guerre éclata et vous étiez forcés à courir ci et là du monde, sillonnant le continent, à mesure de courses à cheval et de contrats attrapés à la volée pour récupérer quelques couronnes, un toit sous lequel dormir. Il se passa six ans, six années où votre vie fut aussi compliquée que celle de n’importe quel sorceleur. Vous vous arrêtiez dans des tavernes, dans des villes et vous profitiez des plaisirs de la vie comme vous le pouviez. Toi, particulièrement, tu découvrais les corps, les relations courtes – car tu ne pouvais en avoir de longues et tu n’en voulais pas. Tu te voulais aussi insaisissable qu’un mirage, qu’une illusion. Tu voulais rester cette ombre passagère, cette illusion que l’on admire parce qu’elle est brève, qu’elle est éphémère et ça te suffisait. Tu n’avais pas besoin de t’attacher, tu ne t’attachais pas, tu te contentais d’assouvir tes hormones qui parfois faisaient un remue-ménage que tu ne pouvais prédire qu’avec difficulté. Tu trouvais une forme de réconfort dans cette forme commune et passagère des relations charnelles, de ces interludes entre deux chasses, entre deux voyages qui donnaient un piment supplémentaire au fait de se poser, de se reposer, de prendre du temps. Tu disposais des corps qui t’entouraient avec une certaine fascination, une curiosité d’adolescente alors que ton corps réclamait la force des muscles qui pouvaient t’enserrer avec déférence. Hommes ou femmes, tu ne faisais aucunes distinctions, mais tu t’approchais plus difficilement de ceux que tu reconnaissais comme monstres car aussi intelligents soient-ils, tu éprouvais une certaine difficulté à leur accorder ta conscience pour telle chose, bien qu’elle soit insignifiante. Tu ne les tuais pas, et à ton sens, c’était déjà leur accorder bien plus de merci que tu ne pouvais véritablement en donner. Cependant, durant l’année de tes vingt-quatre ans, tu remarquas du changement, un changement que tu ne pouvais guère comprendre et que tu n’avais pas vraiment souhaité envisager, que tu n’avais pas véritablement voulu mais dont tu ne pouvais te convaincre de refuser maintenant que le fait était là. Tu étais enceinte. De qui ? Tu n’en avais absolument aucune idée. De combien de temps ? Tu n’en savais rien non plus. Mais la seule chose qui était sûre : c’était que vous aviez, de ce fait, besoin de prendre un arrêt sur vos allers et retours, sur vos agissements et vos mouvements répétitifs à travers le continent. Tu ne pouvais décemment pas continuer comme ça, à chasser du monstre alors qu’un petit être grandissait dans ton ventre et que tu te devais, en tant que mère, le protéger. Ainsi, te mettre en danger n’était absolument pas possible. Pour cette simple raison, vous avez alors décidés de vous arrêter dans un village un peu au-delà du front, en espérant que cette zone ne soit pas touchée. Vous étiez, toutefois, toujours plus ou moins en mouvement, passant d’un village à un autre en espérant que la guerre ne soit pas là, ne vous prenne pas en tenaille au milieu de feux et de cataclysmes que vous ne pourriez décemment pas supporter, que tu ne pouvais pas endurer.

Ainsi, ta grossesse se fit difficilement. Les jours s’allongeaient et devenaient de plus en plus difficile pour toi, ton ventre prenant de plus en plus de place et te laissant, alors, de moins en moins de facilité de mouvement et bientôt, tu devais rester couchée, alitée et décharnée par la fatigue des voyages. La menace de la maladie planait et tu n’avais guère d’autres choix que de faire attention à toi en espérant que rien ne te touche et n’altère cette grossesse déjà compliquée. C’est en Kaedwen que votre dernier arrêt se fit, dans un village reculé qui semblait intouché par les méandres de la guerre, par les vices des soldats. Une chaumière s’ouvra étonnamment à vous, et la fermière s’occupa de toi comme si tu étais sa propre fille, prenant soin de nettoyer chaque tissu froid qu’elle posait sur ton front quand les premières contractions venaient à venir, broyant ton bassin avec la violence d’un coup de massue. Tu avais l’impression, nette et précise, que tes côtes se brisaient à chaque mouvement que tu essayais de faire, et c’est sous la pression d’une lune parfaitement dorée et dans un dernier râle de douleur que tu donnas naissance à la vie comme à la mort. Des jumeaux et l’ombre de la fausse malédiction que tu portais qui brûlait au-dessus de ton crâne, l’ombre de tes dieux qui te tournaient le dos. Une fille, mort-née, et un petit garçon, en étrange bonne santé. La fermière prit le petit garçon pour le mettre dans un berceau et tu entendais ses pleurs tandis que tu tenais entre tes doigts ce petit corps sans vie, dont le souffle avait quitté les poumons avant même d’avoir l’occasion de les utiliser véritablement. Tu étais sonnée, épuisée, complètement vidée si bien que tu n’avais même plus de larmes à laisser aller face à la douleur qui s’insinua entre tes côtes. Tes dieux t’avaient pris ton enfant. Etais-ce une punition pour avoir défier une malédiction que tu croyais inutile et sans valeur ? Tu n’en savais rien mais tu savais que cela contribuait à une colère que tu avais contre l’humanité toute entière. Ce corps froid, tu le laissas à ton mentor, incapable de le regarder plus longtemps, de le tenir plus longtemps tant la déchirure était brutale, tranchante. Tu ne fis que souffler un prénom – déjà étrangement réfléchi – à Glyenn pour qu’il s’en occupe, sachant très bien ce qui pouvait arriver si rien n’était fait correctement. Tu te sentais mourir et vivre en même temps, quand tu tournais ton regard vers celui qui vivait et qui n’était déjà plus dans son berceau mais dans les bras de la fermière qui essayait de te l’amener malgré la tétanie qui saisissait encore tes muscles. Pourtant, quand elle le posa entre tes bras, c’était comme si tu étais réanimée et la blessure s’estompait presque, presque. Tu chérissais déjà ce petit homme que tu n’avais jamais vraiment voulu et qui était une surprise des plus curieuses dans ta vie déjà bien chamboulée, bien mouvementée. Toutefois, tu savais – et tu l’avais senti aux regards de tes mentors – que tu ne pourrais par le garder si tu souhaitais véritablement vivre la vie et la voie que tu avais choisie. Tu ne voulais pas arrêter d’être une sorceleuse pour être une mère, tu ne voulais pas stopper ce que tu faisais parce que tu ne savais rien faire d’autres et même si tu éprouvais un quelconque respect pour les fermières, tu ne voulais pas être comme elles. Ce n’était pas ta vie. Ta vie était sur la voie, à tuer des monstres pour quelques couronnes, c’était ce qui arrivait – étrangement – à te faire sentir en vie et tu savais, à l’aube du jour suivant, qu’il te fallait faire un choix. Pour l’heure, tu ne pouvais pas le faire, et tu profitais simplement de ce poupon entre tes bras, de ce petit garçon portant un nom que tu avais entendu sur les routes et qui te rappelait, étrangement, chez toi : Njall. Un prénom simple, mais en écoutant les petits rires du bambin, tu savais que ce prénom lui était tout simplement destiné, qu’il était le sien et que tu ne changeras pas d’avis. Tu ne le verrais peut-être pas grandir, tu n’aurais peut-être pas l’occasion de choisir son éducation, mais c’était ainsi. Tu allais vivre avec cette idée et celle que ta fille ne le serait jamais. Elle resterait une blessure à jamais ouverte, béante, et à laquelle tu ne pourrais strictement rien faire pour y remédier. C’était ainsi.

Vous restâtes encore quelques jours, peut-être quelques semaines, jusqu’à ce que la fin de l’hiver pointe le bout de son nez, le soleil brûlant la neige qui était apparue par-ci par-là durant ce laps de temps. Ton corps récupéra une partie de sa vigueur et de son énergie, te permettant de sortir, de marcher un peu avec le poupon dans les bras. Cependant, tu sentais que quelque chose n’allait pas. Tu avais vu bien des naissances dans des villages, et tu rares étaient les villageois méfiants face à telle chose et pourtant, c’était le cas. La fermière vous appréciait, tous les trois – bien qu’un peu plus restreinte sur les deux hommes – mais les autres… Ils semblaient vous craindre. Tu savais qu’ils avaient raison. A force de connaissance, tu avais bien compris que les sorceleurs étaient détestés, jusqu’à la racine de l’être, quand bien même ils accomplissaient un travail ingrat. Tu comprenais toutefois difficilement pourquoi ils vous craignaient quand Rodànn & Glyenn avaient fait de leur mieux pour éloigner les monstres du village pendant ta convalescence, en signe de reconnaissance. Mais tu passais outre, pensant que cette crainte demeurerait sournoise, vicieuse mais qu’elle resterait surtout passive, sans conséquences. Ce fut si faux. Ça n’aurait pas pu être plus faux, pour être exacte. C’était une de ces nuits où Glyenn prenait ton petit garçon pour que tu puisses dormir et qu’il s’en occupait avec une certaine douceur que tu n’avais jamais vu chez lui avec toi mais qui te faisait penser à un grand-père avec son petit fils, quelque chose de rassurant. Il dormait généralement dans ce qui servait de grande pièce à vivre tandis que Rodànn était dans ce qui servait d’écurie, veillant sur les chevaux, et que la fermière dormait dans la deuxième chambre. La tienne était originellement un débarras dans lequel trônait un lit à peine confortable, mais tu avais l’habitude. Loin était l’époque où tu dormais dans des lits de soie et de plumes d’oies. Mais cette nuit-là… Tu sentis la fumée avant de comprendre ce qu’il se passait. Tu entendis les pleurs de ton fils avant de comprendre ce qu’il se passait réellement et tu entendis, par-dessus tout, le bois qui craquait et qui te fermait un accès avant de voir les flammes. Tu avais l’impression d’avoir à nouveau six ans, devant un feu que tu n’avais pas provoqué, devant une maladresse mais tu savais que ce n’était pas le cas. Tu étais tétanisée et captivée par les flammes, ton esprit à peine conscient des cris et des mouvements qui se faisaient derrière la porte désormais coincée et derrière ta fenêtre. C’est la morsure du feu dans ton dos et sur tes jambes qui te réveilla de te transe et qui te poussa à essayer, tant bien que mal de dégager la porte, tes doigts étant les seuls véritablement protégés par le feu grâce au cuir épais de tes gants. Les flammes venaient brûler ce qu’ils trouvaient et l’adrénaline te poussait à ignorer la douleur pourtant meurtrière qui se passait sur ton corps. Ta poitrine était touchée, ton ventre également, tes jambes, et ton dos ; tu pouvais également jurer que tes bras étaient touchés mais tu n’en étais pas sûre et quand tu réussis à t’échapper de la demeure, ton souffle manquait presque. La fermière n’avait pas réussi à s’échapper et tomba dans les flammes de sa propre demeure, des flammes causées par sa gentillesse qui n’avait été interprété qu’avec facétie par les villageois. Tu te souvenais, vaguement, de Rodànn qui te fit monter sur le cheval de Glyenn, ce dernier ayant ton enfant entre les bras, avant de le faire détaler. C’est le dernier souvenir que tu as de ton mentor de l’école du rat, ce dernier ayant été ralenti et arrêté par des villageois en colère, furieux de ne pas voir leur meurtre accompli. Aujourd’hui ? Tu n’as toujours pas de nouvelles, mais ton corps, lui ? Il porte toujours les séquelles de ce jour. Un jour qui n’a pas été emporté par les flammes de cet incendie. Et des jours de convalescences auprès d’un médecin de la région pour que ton corps puisse suivre, puisse survivre, tout simplement. Une année funeste, malgré tout, qui te donna une rage au ventre encore plus vivace que celle que tu pouvais éprouver auparavant. Tu commençais, petit à petit, à voir le mal partout où il était, à ne plus voir le bon en premier mais l’épouvante, l’horreur et le malsain des hommes qui hurlaient sur vous parce que vous étiez des monstres quand, sans épées, sans crocs, sans griffes, il étaient plus monstrueux que vous. Tu ne t’autorisais plus à voir le bon en premier mais le mauvais, en espérant, secrètement, avoir tort. C’était triste, mais une réalité en engendrait une autre, et tu n’allais avoir que peu de remords à tuer, désormais. Une année funeste qui fut marquée par la mort et la vie, la vie et la mort, la promesse éternelle d’un enfant mort et d’un enfant en vie, dans le tumulte de tes larmes d’amour, une année qui marqua le reste de ton existence.

Don’t cry too soon. Oh, I can’t stay with you. Oh, I won’t stray away from the truth and I still want to love on you.
« Je me suis rachetée du droit de surprise, l’amie en question ayant récupéré mon enfant et… C’est pour le mieux. Je peux pas m’en occuper, je peux pas être là pour lui comme je le devrais et si elle peut le protéger, je préfère que ce soit elle. C’est une triste réalité, n’est-ce pas, monsieur le barde ? Est-ce que mon histoire suffira à avoir quelques informations sur ce monstre ou est-ce que je dois ouvrir mon cœur en deux pour vous en extraire l’élixir de mélancolie qu’il reste ? Ou est-ce que je dois mettre la pointe de ma lance sous votre menton pour que vous parliez ? »


Oh, Glyenn t’engueula pour ces mots, mais tu ne pouvais pas plus t’en foutre. Vous aviez les informations. Bien sûr, tu avais omis énormément de choses dans ton récit, omettant tout ce qui était de ta propre lamentation, de tes déceptions, des détails sur ton amie que tu avais revue il n’y a pas si longtemps pour lui confier Njall. Tu tus, également, le nom de la ville d’où tu étais originaire et pleins de détails comme ceux-ci restèrent sous scellé, enfermés dans un recoin de ta mémoire dont seule toi avec accès. Toutefois, tu aurais pu lui donner la mélancolie s’il la demandait mais tu préférais la garder pour toi, c’était pour le mieux. Vous aviez les informations, tu n’avais pas besoin de t’ouvrir plus. Il y avait, néanmoins, une satisfaction de savoir que ton histoire ne se perdrait pas avec ta mort et qu’elle survivrait, peut-être, quelque part, dans une mélodie, dans une composition d’un barde lambda. Ton voyage et une partie de ton histoire survivrait même à ta mort, bien que de nombreuses histoires et scénettes de ta vie resteraient tiennes, gardées jalousement par ton égoïsme presque habituel. Tu avais vu du pays, tu avais vu des terres déchaînées et tuées par la guerre ainsi que celles qui demeuraient pacifiques, dont la guerre n’avait rien fait encore. Tu avais rencontré des créatures dans lesquelles tu avais vu bien plus d’humanité que les humains ou les non-humains, mais des créatures en lesquelles tu ne pouvais placer ta confiance parce qu’ils étaient des monstres, parce que par cette nature, tu n’arrivais pas à t’y fier. Tu suivais le code des sorceleurs, avec bien moins d’allégresse que d’autres, tu appliquais tes propres méthodes et ta propre manière d’être neutre vis-à-vis de tout ce qui se déroulait dans les bas-fonds de ce monde. Tu avais rencontré ceux qui étaient originaires des origines de tes parents, les insulaires au cœur aussi vif et combattif que le tiens, tu avais vue de tes propres yeux la beauté de leurs bateau bien que tu préférais largement les chevaux et même si tu n’avais pas encore eu l’occasion de voir leurs terres, tu demeurais fermement impatiente de pouvoir un jour fouler ces îles. Tu avais rencontré des scoia’tael dont tu avais tranché les têtes et d’autres dont tu avais épargné la vie, tu avais tué soldats de toutes bannières, tu avais épargné des déserteurs, tu avais épargné et tué des paysans dont l’offense était telle qu’elle ne pouvait être ignorée. Tu ne faisais pas de distinction, la mort n’en faisait pas, pourquoi en ferais-tu ? Ce n’était pas à toi de juger qui était innocent ou non, ce n’était pas à toi d’être juge et bourreau, tu n’étais que l’outil que l’on employait et payait pour faire un travail ingrat. Et cela te suffisait, à toi. Peut-être que tu allais t’assagir, peut-être était-ce déjà en train de se poursuivre. Après tout, tu épargnais des monstres malgré ton racisme, malgré ta rage vis-à-vis d’autrui, peut-être n’étais-tu pas perdue mais pour l’heure, tu avais bien du mal à l’imaginer, bien du mal à concevoir la réalité de ce que pourrait être ta vie si tu changeais diamétralement ton arbalète d’épaule. Tu n’étais pas une tendre, le monde ne t’avait pas modulé pour que tu le sois, c’était chose sûre et tu aimais la fermeté avec laquelle tu t’enfermais dans un carcan de pensées qui ne laissait que peu de place à la digression. Tu aimais à réfléchir, mais pas sur la justesse et la justice de cette vie et celle des autres. Tu te contentais de faire ce pour quoi tu étais payé, de continuer à décrocher les contrats et récupérer les pièces d’or. Peut-être étais-tu un monstre, finalement. Au fond, quelle était la différence ? Tu n’en savais rien, et au final… Ça ne t’aurait probablement pas gêné de tuer ce barde stupide pour peu qu’il puisse se taire, tu n’éprouvais aucune pitié et aucun remord à le faire, comme tu n’aurais probablement aucun remord à tuer un doppler sur lequel on avait mis un avis. Peut-être était-ce cruel, mais tu n’avais aucun besoin de regrets et de remords supplémentaires, tu n’avais pas besoin de scrupules, tu n’avais pas besoin d’interférer dans des affaires qui n’étaient pas les tiennes et qui t’attireraient des conséquences inutiles. Tu avais assez de tes propres problèmes, pas besoin d’en avoir d’autres par le biais d’autrui. Tu n’étais pas Geralt de Riv, tu n’étais pas ce sorceleur dont la renommée n’était plus à compter. Tu n’étais pas de ces gens aux scrupules importants qui permettaient de penser à la liberté des autres avant la leur. Non. Tu n’étais pas de ceux-ci, et ça t’allait parfaitement.

C’était peut-être égoïste mais tu t’en fichais, et tes pensées s’éparpillaient doucement quand tu avais quitté la table, avec un dernier regard au voyageur solitaire tandis que tu rejoignais ta chambre. Tu avais posé tes armes sur le lit avant de te placer devant le miroir de plein pied qu’il y avait dans la petite pièce. Tu retiras d’abord tes gants, examinant doucement tes doigts et la marque encore saillante dans le creux de ta main, et tu passas le bout de tes doigts sur ton visage. Ton regard accrocha ton reflet et tes yeux de chat et tu gardas cette position pour quelques secondes avant de détacher, doucement, ton haut qui couvrait la totalité de ton buste. Le corset ne tarda pas à tomber aussi, suivi par ton soutien-gorge, te laissant torse nue devant le miroir. Tes doigts aux bouts tatoués venaient effleurer la chaire qui était marquée par les cicatrices du feu sous ta poitrine à droite, sur le côté de ton sein gauche, une petite flammèche sur ton estomac et tu te tournas pour contempler les quelques flammèches sur ton dos, contre tes omoplates et remontant sur ta nuque. Tes bras avaient été très légèrement touchés aussi, quelques stries se faisant voir sur tes biceps. Tu ne tardas pas à faire tomber tes bottes et ton pantalon, gardant simplement ton sous-vêtement alors que tu regardais ton reflet. Il y avait des restes des morsures du feu sur ta cuisse gauche, ton mollet à droite et ta fesse, à gauche également. Elles étaient légères et si tu passais ton doigt par-dessus, tu ne sentais qu’à peine la différence. Ton corps avait été changé, modifié, altéré par l’épreuve des herbes que tu passas l’année précédente. Des cicatrices avaient disparues, miraculeusement et ton corps était soudainement plus regardable, plus appréciable mais si tu ne trouvais guère plus de plaisir à le voir, surtout marqué par ce feu assassin qui t’obligeait à ne que peu te découvrir. Tu paraissais comme une poupée de porcelaine tâchée mais tu n’étais plus seulement réduit à cette image brisée même si c’était celle que tu voyais dans le miroir. L’épreuve des herbes t’avait retiré des cicatrices mais elle t’avait offert une force de mutante, t’avais offert bien des choses et c’était tout ce qui comptait aujourd’hui. Demain, il serait temps pour vous de tuer votre bête pour ce contrat, et de reprendre la Voie. C’était tout ce qui importait maintenant, ça et choisir de prendre le mal par les cornes. Tu avais longtemps entendu parler du moindre mal, mais tu ne choisissais pas, tu t’y refusais. Tu ne vivais que pour voir le lendemain, survivre au jour pour voir l’aube du jour suivant, sans rien demander de plus. Tu ne cherchais pas la justice, tu ne cherchais pas la rédemption, tu ne cherchais pas à retourner dans ta ville natale, tu cherchais juste à voir le lendemain, le jour suivant. Tu ne voulais que tromper la mort un jour de plus. Juste… Un jour de plus.


state of mind
In this waking nightmare where all dreams come true, you searched for control. A way to pull through. To smother your furies and banish your fears. But in the darkness they came, through stormy black seas they raided these shores.


« Je ne sais pas qui tu es, toi qui lis cette missive probablement dispersée au gré du vent ou perdu dans une ruine que j’aurai délaissé par besoin de trouver mieux. Je ne sais pas qui tu es et ce que tu feras de cette lettre ni même si tu connais la personne dont mes mots vont être l’objet. Je suis un sorceleur, et oui, j’écris, malgré toute occurrence curieuse, j’ai eu une éducation très prompt à l’écriture et aux belles lettres avant d’être amené à tuer des monstres, c’est pour cela que… Même malade, je prends le temps d’écrire sur une femme que j’ai en partie aidé à éduquer et que j’ai vu grandir malgré tout. Une femme dont la justesse d’âme a été altérée par de multiples moyens et que j’aurai aimé voir à nouveau si jamais je venais à mourir. Son prénom est gravé dans les dunes de lieux que vous n’imaginez probablement pas, vous, le lecteur, et son nom, originel, est le symbole d’une ville où la cohabitation était possible. Je n’ai vu ces lieux qu’une fois cette femme perdue de vue pour des aventures que je ne pourrais conter car je ne les connais pas. Cette femme refuse qu’on l’appelle par ce prénom primitif qui lui rappelle ô combien elle ne fait plus partie de cette vie à laquelle elle fut arrachée par une malédiction qui n’a de maudit que le nom. Elle refusera que vous prononciez ne serait-ce que son nom de famille, celui par lequel elle est connue par-delà les montagnes bleues. Cette femme, je pourrais vous la décrire en douze objets, douze petites choses qui lui sont symboliques à mes yeux mais qui pourraient bien être contredis par cette elfe aux yeux caramélisés et à la peau de porcelaine embrassée et tachetée par le soleil. Douze objets qui font résonner en moi la mélodie de la mélancolie et la nostalgie de ne pouvoir la voir à nouveau, de ne même pas pouvoir avoir la certitude de sa survie dans ses terres hostiles. Je sais que vous n’allez peut-être pas lire cette lettre jusqu’au bout, et vous aurez peut-être raison : qui veut se donner la peine de lire les gribouillis d’un vieux sorceleur à propos d’une femme qui ressemblait à sa fille ? Toutefois, je n’ai donné ni nom ni prénom jusqu’ici et si vous vous donnez la peine de lire ceci, vous saurez qui est cette elfe aux yeux mordorés car j’écrirais son prénom dans les derniers caractères, quand ma plume s’épuisera de son encre, et que peut-être, par chance, vous pourrez tomber sur elle. »

Dans les souvenirs sablonneux du vieux sorceleur réside un souvenir qui te met en figure telle une petite fille, encore dans les débuts d’une adolescence pernicieuse. Le souvenir d’un marché dans une grande ville dont pourtant le nom lui échappait, mais tu étais là, devant Glyenn qui gardait un œil proche sur cette jeune demoiselle aux cheveux tressés curieusement. Tu t’arrêtas, à un certain moment, devant une échoppe, un peu en avance des deux sorceleurs, et tu pris entre tes doigts deux pierres dont il se souvenait avec une perfection presque aussi claire que naturelle, limpide et cristalline. Il revoyait sans mal tes yeux, curieux et joueurs devant ses pierres qui devaient t’inspirer tant de choses qu’il ne comprenait pas, et que tu ne comprenais finalement que plus tard, quand tu avais grandis.

« Que vous considériez ceci comme deux objets m’est égal, je le considère comme un seul par sa propriété et sa forme. L’amazonite et la pierre de lune, deux objets qu’elle tenait dans ses doigts frêles comme s’il s’agissait d’un trésor et peut-être l’était-ce. De toutes les pierres présentes, c’est celles-ci qu’elle prit entre ses doigts, peut-être était-ce la destinée, peut-être que non. A mes derniers souvenirs, elle ne croyait que difficilement en la Destinée et ses vertus sur chacun de nous. Je suis persuadé, toutefois, qu’il s’agissait de ce phénomène qui la poussait vers ses pierres qui reflétaient tant de sa personnalité. L’amazonite… Une pierre limpide qui implique le courage et la bravoure, mais également l’impulsivité et l’insolence qui peut en découler. Pour la pierre de lune.. C’est la douceur du secret, le mystère, la face cachée de la lune ou l’autre côté d’un miroir. Elle est ainsi. Elle est courageuse par ce qu’elle a vécu, tant ce qu’elle ne comprenait pas que ce qu’elle était déjà capable de comprendre et d’appréhender. Capable de rejeter une vie qui lui était promise par une vie qui était loin d’être celle qu’elle voulait à l’origine. Brave de tenir une arme sans défaillir devant une bête plus grande et plus forte qu’elle. Brave et insolente de pouvoir tenir tête à plus fort et plus grand qu’elle, plus vieux et plus expérimenté. Brave d’avoir suivie une voie qui n’était pas la sienne et d’avoir survécu à des épreuves que certains n’auraient jamais imaginés, brave de nous avoir suivi et de ne pas s’être laissée mourir, brave d’avoir fait tant de choses qu’il aurait été impossible de les énumérer. Cette femme est brave jusqu’à ce que cela soit dangereux pour elle, prête à imposer son courage pour protéger les rares personnes avec lesquelles elle a composé un lien qu’elle entretiendra aussi solidement qu’une corde. Une femme qui ne recula et qui ne reculera devant rien pour atteindre la seule chose qu’elle veut : vivre un jour de plus. Je l’ai compris dès le premier jour qu’elle ne vivrait pas pour une éternité de plénitude mais pour un jour de plus dans un monde qui voulait son annihilation pleine et entière. Et j’ai compris, par cet intermédiaire, à quel point son courage était grand en voyant la force qu’elle mettait à prouver au monde qu’elle méritait d’être là, même si ce n’était que pour un jour de plus.

Comme l’amazonite, elle brille d’un courage et d’une force qui lui est propre, qui ne vient pas de son physique mais d’un mental qu’elle travailla avec le sable des dunes dans lesquelles elle grandit avec l’acier et l’argent comme compagnons. Elle brille par son insolence et son impulsivité à devoir essayer ce qui lui est interdit, elle brille par le courage qu’elle met dans chaque travail qu’elle entreprend. Cependant, tout comme la pierre de lune, elle est secrète, elle s’ombre d’un mystère qu’elle ne dévoile qu’avec parcimonie. Elle est drapée de ce voile nocturne, parés d’étoiles éphémères, qui cache ses secrets, ses faiblesses, sa vulnérabilité. Elle est drapée de ses propres secrets qu’elle cache sous une armure aussi bien physique que mentale. Elle ne parlera jamais de son enfant à moins que sa confiance vous soit acquise, elle ne parlera jamais des blessures dont elle fut la victime, et… Encore plus que quiconque désormais, je doute qu’elle vous dévoile son corps paré des flammes de l’enfer. Pudique et réservée, parée d’un mystère qu’il ne tiendra qu’à vous de voir les limites sous peine de vous retrouver sous le joug de son insolence et de sa bravoure dont les limites sont ténues par sa propre volonté. Son mystère est cultivé par sa propre bravoure, et les deux éléments s’entretiennent dans un équilibre presque sécuritaire pour elle. Elle ne dévoile que ce qu’elle veut et ne délogera rien de plus si son envie lui en somme. La curiosité vous poussera peut-être à entreprendre monts et merveilles pour conquérir son secret et c’est dans la désillusion de son nom que vous tomberez, enfoui sous les sables de son insolence, de sa fougue éternelle. Elle chérit ses secrets comme s’ils étaient des trésors, et je revois, encore et toujours, son regard face à cette pierre qui était pourtant aussi banale que sa considération pour son visage. Creuser son mystère vous demandera beaucoup d’effort, de rigueur et de courage, autant que ce qu’elle a en elle, et je ne peux vous garantir guère plus qu’un morceau vous sera donné. La pierre de lune pour ses secrets, qu’ils soient ceux qu’elle garde en elle sur son passé et sa vie ou qu’ils soient ceux dont elle ignore tout, et l’amazonite pour la bravoure dont elle a toujours su m’éblouir. »

Le sable qui gratte, qui s’infiltre dans les vêtements, dans les cheveux, contre la peau, partout. Dans les souvenirs du sorceleur se cache ce petit moment sous les lumières du soleil où tu dansais avec la lame, où tu expérimentais l’acier entre tes doigts comme si tout ça était finalement inné quand il ne l’était pourtant pas. Le mouvement était gracile bien qu’encore maladroit, comme un ballet que l’on entraînait pour qu’il soit parfait. Et le sorceleur se souvient, avec clairvoyance, du sourire sur tes lèvres quand tu réussis à dévisser la tête du mannequin.

« Le deuxième objet, que vous pourriez considérer comme le troisième et quatrième aussi et je m’en fiche, n’est autre que son arme. J’ai vu cette jeune femme être démotivée, être découragée par le manque d’expérience qu’elle avait, par la maladresse qu’elle possédait à manier une épée comme beaucoup d’entre nous. Elle n’arrivait pas à mettre correctement sa main sur la garde, n’arrivait pas à parader correctement, ne savait pas comment se placer et sa posture était maladroite comme si l’arme n’était pas à sa convenance, et ce fut le cas. A l’époque, je prenais ça pour de la mauvaise foi, je prenais ça pour du manque d’attention, pour un manque cruel d’intérêt pour cette arme et surtout, je prenais son comportement pour du désintérêt de ce qu’elle voulait être, et de la mauvaise volonté. Oh, j’étais dans le faux, dans le mensonge le plus gros. Elle est maladroite, c’est vrai. Elle peut être également de mauvaise foi pour énormément d’éléments, son caractère colérique extrapolant cette partie d’elle et pourtant, ce n’était pas le cas pour cela. La preuve en était du jour où nous avons décidé de la provoquer, de la mettre en face de la possibilité qu’elle puisse mourir si elle ne faisait pas les choses correctement.

Cette femme a du tempérament, plus qu’il n’en faut dans un petit bout de femme comme elle, et surtout… Elle en veut. Elle en voulait au monde, elle voulait vivre et elle était très vite réceptive à la réalité, à celle que si elle ne se bougeait pas un peu plus, elle finirait la gorge tranchée. Cette femme veut vivre, même si c’est pour un unique jour de plus. Et le jour où elle prit la lance, j’ai vite compris l’ampleur de sa motivation et de la colère qui pouvait animer chacun de ses pores. L’arme semblait faite pour elle, comme si elle n’attendait que ses mains pour s’animer et elle nous prouva, à moi et mon collègue, à quel point nous avions tort. Sa détermination à nous mettre au tapis, à nous prouver qu’elle était faite pour ça, qu’elle n’était pas inutile ni même un boulet, cette détermination était gargantuesque. La lance était la matérialisation physique de sa volonté, de sa détermination, de son tempérament agressif mais également le complément de tout ce qu’elle n’avait pas naturellement. La lance est devenue sa compagne, sa plus proche alliée, nous montrant à quel point elle pouvait être adroite et juste. Elle était devenue l’extension de son bras, et surtout… La matérialisation de son besoin de justice. Cette femme n’est peut-être pas la plus juste, elle n’est peut-être pas la personne la plus droite, mais cette lance est son maillet de juge. Elle est également la preuve de sa détermination. A l’inverse, le fléau qu’un jour elle eut entre les mains était la preuve de la colère qui rugissait entre ses veines, mais également de son attrait de meurtrière. Croyez-moi, si son visage est délicat, marqué par la finesse féminine, la force de son caractère la rend meurtrière et dangereuse à raison. Elle ne tue pas sans raison, mais quand elle le fait, c’est avec la brutalité d’armes qui compensent ses faiblesses. Colérique, ces armes représentent cet état de fait, de même qu’elles représentent l’égoïsme qu’elle peut avoir et ce besoin, que j’ai découvert, de se faire une place depuis que son ancienne lui a été destituée. Ne vous laissez pas surprendre par son visage, il y a derrière une femme qui croit en l’expression que nous, sorceleurs, sommes des monstres et qu’en ce sens, personne ne sera épargné par ce qu’elle estimera être injuste ou intolérable. Elle peut être ouverte d’esprit, mais elle n’hésitera plus à tuer si tel est permis. Elle n’est peut-être pas un monstre, et elle ne se considère peut-être pas comme tel, mais c’est une furie déguisée dont la colère s’alimente par ses échecs et par les qualités injustes qui entourent sa vie. Le fléau et la lance sont ses alliés, les personnifications de ses besoins de colère, de sa motivation et de sa détermination en même temps qu’ils sont la matérialisation de sa qualité de meurtrière, de sa furie, de son égoïste et surtout… Ce qu’elle ne dira jamais, la matérialisation de la seule chose pour protéger son fils. »

Il fait bien moins chaud qu’au Nilfgaard et les souvenirs ramènent au Nord, au-delà de Novigrad, sur les côtes. Les harpies sont présentes et il t’observe, brandissant ton arme pour écraser au sol une harpie que tu as transpercée de la lance qu’il t’a offerte. C’était la dernière et de tes doigts couverts par des gants, tu ramasses une plume rougie par le sang. Tu la serres entre tes doigts avant de la garder et de rejoindre les sorceleurs.

« La plume. La plume est synonyme de bien des choses, n’est-ce pas ? C’est ce que l’on utilise pour écrire mais c’est également un objet utilisé autant dans le textile que dans la création de bien des objets. Pour la jeune femme dont je vous parle… C’était un souvenir. Et pour moi ? La plume est quelque chose qui ressemble à cette femme. La plume est la preuve de la délicatesse, de la finesse, mais également de la curiosité qui découle des écrits rédigés par la plume. Elle est curieuse, même lorsqu’elle ne le montre pas, et si ses talents ne sont pas dirigés dans l’écriture, elle aime lire et s’intéresser à un monde qu’elle ne connut que de loin pendant six longues années. Elle aime à s’intéresser à ce continent qu’elle parcourt désormais avec une certaine aisance. La plume est cette curiosité qui lui ressemble, qui lui colle à la peau quand bien même elle essayera toujours de cacher qu’elle puisse l’être, pour se protéger et pour protéger ce qui lui reste. Néanmoins, ce que je retiens le plus pour elle de la plume, en plus de son incroyable curiosité et sa soif de connaissances bien camouflée, c’est surtout la délicatesse. Si elle paraît – et est – brutale et féroce lorsqu’elle se bat, ne prenant qu’à peine quelques secondes pour se poser la question de la légitimité de son attaque et que lors de ses plus beaux combats, toute marque de son passé disparaît dans un nuage de fumée, des réminiscences demeurent lors de certains instants, éphémères comme son nom peut l’indiquer. Lors des combats, ces marques peuvent paraître presque invisibles si l’on n’y prête guère attention mais l’œil est habile, il peut remarquer que chaque pas est calculé et surtout, fait avec une grâce qui est propre à cette jeune femme, qui reflète les derniers espoirs de son passé. Elle attaque avec brutalité mais avec une délicatesse qui laisse à croire qu’elle peut avoir de légers remords lorsque la lame s’enfonce dans un corps, transperce chair et organes sans la moindre difficulté. Dans ces combats-ci – qui sont rares je vous l’accorde – elle amène la posture d’une danseuse dont chaque pas est calculé. Ce qui, croyez-moi, n’est pas le cas. Elle peut être bien des choses, mais elle n’est pas stratège, elle n’est pas la plus adroite des guerrières que je connaisse et elle est loin d’être une fine tacticienne, non. Elle vit à l’instant et attaque de concert à cette philosophie. Elle a appris, avec nous, à se préparer pour certains combats, mais rares sont ceux où elle planifie chacun de ses mouvements. Non, cet art gracile est naturel. Cette délicatesse et cette finesse n’est autre qu’une réminiscence de son passé, de sa première éducation de bonne famille, quand elle devait porter robes et talons pour plaire à une famille qui ne voulait pourtant plus d’elle une fois la malédiction passée. Vous pouvez retrouver cette délicatesse dans la façon qu’elle a de s’occuper de sa jument, dans la façon qu’elle a de s’habiller parfois, dans la manière qu’elle a de choisir les équipements dont elle a besoin, dans chaque confection qu’elle fait, dans la façon dont elle se coiffe mais aussi dans certaines de ses actions les plus anecdotiques ou lorsqu’elle s’occupe de son fils. Son visage est encore marqué par cette finesse et cette délicatesse naturelle qui n’a pas été destituée avec l’âge ni même l’entraînement rugueux qu’il lui a été imposé par la force des choses. Non, cette sorceleuse est aussi délicate que brutale, aussi impulsive qu’emplie de finesse d’un naturel presque étrange. C’est un mélange curieux qu’il faut voir pour y croire. »

C’était avant la naissance de ton fils, avant que tu sois séparé du sorceleur, et c’était un moment clé, celui où tu avais des couronnes à dépenser pour pouvoir t’offrir quelque chose, pour pouvoir t’équiper. Tu aurais pu choisir de nombreuses choses bien plus riches, bien plus luxueuses, mais tu ne t’étais accordé que peu de luxe, un souvenir du passé que tu avais vécu. Ce n’était pas grand-chose mais le sorceleur s’en souvient comme si c’était hier : l’armure rutilante faite sur mesure qui t’allait comme si elle n’attendait toi pour s’animer.

« La majorité des gens voient l’armure d’un sorceleur comme un élément somme toute classique qu’il convient de porter pour éviter les éclaboussures de sang, les déjections d’acide ou encore les coups de griffes acérés et autres portées de lame. Et c’est vrai pour nombre d’entre nous. Seulement, je lui inculqué quelque chose que mon collègue n’a jamais véritablement compris. Elle comme moi font partie d’une école qui n’a été revendiquée par peu de gens, qui n’est considérée presque comme une imposture et qui ne possède, à l’inverse des autres, aucune armure qui lui est dédiée. Ainsi, j’ai pris énormément de plaisir, dans ma jeunesse, de peaufiner une armure qui serait celle que je donnerai de mon école. L’armure est une protection, autant métaphysiquement que littéralement, et j’ai appris à cette jeune femme l’importance d’une armure qui nous correspond, qui nous reflète, qui nous est familière et qui n’est pas juste un outil, un morceau de cuir attaché à un autre. Ce n’est pas juste une protection physique. Et si mon comparse ne comprenait guère ce fonctionnement, elle… Elle a compris et c’est pour cela que son armure est si importante. Elle n’est pas matérialiste, loin de là, mais elle a donné une importance à son armure parce qu’elle était au-delà de l’attribut qu’on lui donnait. Alors, quand elle choisit cette amure faite de cuir, d’or et d’argent, ce n’était pour rien. C’était pour se protéger des divers éléments qui pouvaient la toucher, autant physiquement que psychologiquement, croyez-moi. Son appétence pour la protection touchait les plans. Elle refusait qu’on puisse la blesser que ce soit physiquement ou psychologiquement, c’était une impérativité pour elle, quelque chose qui ne devait arriver. L’or qui repose sur son cou comme de minutieux colliers retombant sur sa poitrine par-dessus un col de cuir ainsi que les épaulettes semblables à des écailles de dragons ainsi que pour les différentes chaînes entremêlées au cuir de ses côtes n’est autre que pour la solidité du métal mais également, pour repousser tout ce qui peut être allier au luxe dans lequel elle a vécu auparavant. Une mise en garde, pour elle comme pour les autres, de ce qu’elle ne veut nullement retrouve parce qu’il est le souvenir cuisant de ce dont on l’a privé par le passé. Une protection contre quelque chose qui est profondément ancré en elle, cette appétence pour le luxe qui pourrait la pousser à des erreurs. L’argent… L’argent qui se mêle à l’or des écailles mais également celui qui forme des plates sur ses côtes et son ventre comme un corset mêlé à du cuir et à de l’acier, c’est ce qui la pousse à rester loin des monstres auxquels elle ne fait nullement confiance. C’est également une mise en garde, une protection supplémentaire contre ce qu’ils pourraient lui faire mais aussi une manière de garder en tête – comme si ce n’était pas déjà le cas – le but de la voie qu’elle a choisie. Le cuir est le tissus le plus solide et le plus souple, un tissus qui n’est pas choisi à la légère parce qu’elle ne veut pas que quoi que ce soit l’entrave. Elle ne veut plus être entravée par un quelconque moyen, le cuir permet une aisance dans les mouvements qu’une armure de métal ne permet pas. Le cuir la protège physiquement, repousse ce qui pourrait être néfaste et permet de délier les chaînes qu’on lui a imposé par le passé, que ce soit par elle-même, moi ou mon comparse ou encore sa famille qui voulait son annihilation pour une malédiction de pacotille. Enfin, le dernier alliage, très similaire à l’argent, est l’acier qui sillonne certaines parties de l’armure qu’elle porte. L’acier qu’elle porte comme des bagues armures par-dessus ses gants pour lui donner une force qu’elle n’a pas naturellement, pour lui donner la poigne qu’elle ne peut avoir dans ses paroles et dans son physique. L’acier pour sa nature têtue, pour son impassibilité, pour son opportunité à ne pas perdre de vue les objectifs qu’elle a. L’acier pour s’ancrer dans ce monde quand son esprit ne peut le faire, l’acier pour la protéger. Elle se protège et vous paraîtra toujours froide, glaciale même, peut-être même totalement détachée et désintéressée mais elle se protège juste. Cette armure est la sienne, et elle porte le même intérêt que je le fais pour la mienne : elle la représente à bien des égards, elle représente son école mais surtout, elle est la personnification de ses propres barrières, de ses limites, de sa défense. Percer cette armure, au vue de sa pudeur naturelle et de son appétence pour le mystère, c’est avoir sa confiance la plus totale, c’est – pardonnez-moi le terme – décrocher le gros lot. »

La voie est un univers compliqué, tu le savais et il te l’avait appris avec la rigueur qui allait avec. Il fallait être patient, il fallait savoir contempler son environnement et le connaître à la perfection. Il fallait être capable de traquer, de tirer et de tuer sans hésiter tout en étant sûr du mouvement. Tu n’avais jamais été très adroite, tu étais même l’opposée, mais tu devais apprendre. Et c’est armé de ton arc que tu tiras en pleine tête dans le cerf qui était plus loin. Il fallait se nourrir.

« Ah. Je me souviendrais toujours de quand on lui a trouvé un arc. Mon comparse et moi étions des habitués de l’arbalète, plus simple, plus agile, plus à la pointe de ce que l’on trouvait pour ce type d’armes. Elle ? Elle n’a jamais réussie à viser correctement, trouvant toujours le système trop compliqué pour qu’elle daigne essayer plus que ça. Oh, croyez-moi, c’était de la mauvaise foi de sa part, véritablement. Une petite fainéante à l’idée d’apprendre ça, à l’idée de devoir se mettre à la page sur ce point-là. Elle n’est pas fainéante, je dirais, mais il lui arrive de ne pas avoir envie de s’embêter plus que ça, de faire le minimum syndical et rien de plus. Elle parle d’optimisation de temps et de moyens… Je prends ça pour de la bêtise, mais soit, interprétez mes propos comme vous le souhaitez. Il en demeure qu’elle ne voulait pas s’embêter avec une arbalète, ainsi… Un arc fut le choix le plus logique. Croyez-moi que ce ne fut pas plus évident. Je vous ai déjà dit qu’elle était colérique et que si quelque chose n’allait pas directement dans son sens, sa patience s’affinait très vite à tel point qu’elle devenait de moins en moins concentrée ? Eh bien vous savez, maintenant. Avec l’arc… ça a été compliqué. Mon comparse s’est essentiellement occupé de cette partie-là, plus patient qu’il était que moi. La jeune femme n’était pas très patiente, et je pense qu’elle ne l’est toujours pas. Son sang est chaud et elle s’enflamme très vite, pour peu généralement. Sa patience n’est pas d’or et si il est aisé de lui taper sur les nerfs, croyez-moi qu’elle vous le rendra très vite. Elle est insolente, parle crument en essayant à peine de mettre les formes à ce qu’elle dit sauf dans certains cas, elle essayera toujours de négocier et de trouver une brèche dans laquelle s’engouffrer et pour peu.. Elle vous tapera vite sur les nerfs également. Ceci dit, c’est peut-être parfois mieux car vous aurez son intérêt. Son indifférence et son je-m’en-foutisme peut être plus ardent et plus mordant que vous ne l’imaginez vraiment à tel point que vous plierez aussi aisément que si elle se mettait à genoux pour une supplique, chose qu’elle ne fera jamais par égo. Oh, elle sait demander de l’aide quand elle en a le besoin – et parfois même quand elle n’en a pas besoin – et elle en usera, mais jamais, jamais elle ne suppliera quelqu’un, jamais. Son égo lui interdit, et sa fierté annihilerait son reste de conscience si c’était le cas. Il en demeure toutefois qu’elle n’est pas patiente, et que lui apprendre l’adresse de l’arc ainsi que la précision, ce fut quelque chose de difficile pour une personne aussi butée qu’elle. Si elle est très terre à terre – parfois trop, avec un soupçon de manque d’humour mais une langue bien aiguisée pour le sarcasme – sur ses compétences, elle est persuadée, toujours, de pouvoir faire mieux, comme si elle essayait de prouver au monde qu’elle était utile, qu’elle n’était pas juste une poupée. Elle n’est pas la meilleure à l’arc, et elle le sait, elle ne le cache pas. Elle manque peut-être d’honnêteté sur pleins d’éléments, mais pas sur ses compétences, sachant également où elle se trouve et où sont ses limites. L’arc est un élément de furtivité qu’elle cultive sans trop savoir sur quel pied danser mais dont elle a besoin, comme un poignard, pour sa survie. C’est pour cela qu’elle ne porte jamais les deux armes avec elle mais qu’elle les garde sur sa jument. Ainsi, si elle n’est pas la meilleure pour la chasse à proprement parler, son esprit s’observation lui donne un très bon instinct de traque qui correspond parfaitement à sa détermination à ne faillir à aucuns objectifs. Ainsi, si elle vous a dans son viseur, fuyez et ce, loin. Elle est butée et elle ne lâche rien et si pour peu que vous ayez laissé des traces derrière vous, elle vous retrouvera. Elle est acide dans ses paroles et dans ses premières impressions, avec une langue aiguisée et une appétence profonde pour le sarcasme, avec une patience qui frôle celle d’un enfant de quatre ans qui se joint à ses instincts de colère mais si elle ne parle pas énormément, elle observe beaucoup et croyez-moi, elle n’est peut-être pas née chasseuse de monstres, mais il semble que certains attraits soient dans ses gênes, comme celui de la traque et de l’observation. »

De tous les lieux que tu as visités avec tes deux sorceleurs, ceux que tu aimais le plus étaient ceux qui possédaient des marchés. Tu aimais à voir les produits qui venaient des plus lointaines contrées comme les plus proches et pouvoir toucher, du bout des doigts, des tissus, des textures que tu ne toucherais jamais en temps normal. Le sorceleur se souvenait de cette sorte d’écharpe de fourrure qu’il t’avait acheté pour que tu n’aies jamais froid en hiver.

« J’ai acheté, à une jeune femme ayant connu le luxe des plus beaux produits, une écharpe en fourrure à cette sorceleuse en herbe. Une fourrure simple, blanche et noire, qu’elle pouvait enrouler et attacher à son armure pour se réchauffer lorsque l’hiver tombait. Cela paraît stupide, n’est-ce pas ? Elle avait connu le luxe de la vie de château, le satin, la soie, les plus belles fourrures, les plus beaux tissus, les plus beaux matériaux et je lui ai offert une fourrure simple provenant d’un artisan de Skellige. Une fourrure qui n’avait, à l’origine, rien de très beau avec une couleur très loin d’être uniforme mais qui avait faite pour les guerriers, pour que ce morceau soit utile et facilement portable sans entraver les mouvements de son porteur. Ça paraît stupide, n’est-ce pas ? Et pourtant, je n’ai jamais regretté cet achat, que ce soit lors des premiers rudes hivers où elle contestait le froid à vive volée, le nez plongé dans la fourrure, où lorsqu’elle enroula son enfant dans cette fourrure. Cette pièce à tant de souvenirs, elle est chargée de pleins d’éléments qui me rappellent tant de facettes de son caractère. Cette fourrure me rappelle la légèreté de cette enfant, dans les rares moments où elle s’autorise du lest. Ces moments où elle se laisse à sourire, à être aussi agréable et douce que cette fourrure par-delà son aspect rugueux et rigide, qui se laisse être légère et qui profite simplement de l’instant. J’ai de nombreux moments comme ceux-là, où nous sommes tous les trois autour d’un feu, à discuter et à boire pour nous réchauffer et où j’entends, encore maintenant, son rire qui suit le crépitement des flammes. Elle est légère dans des moments aussi éphémères que son nom mais ce sont ses moments qui font d’elle un papillon que l’on souhaite attraper, que l’on souhaite garder sans l’entraver. Néanmoins, cette fourrure me rappelle peut-être ses moments de légèreté où elle n’était qu’une jeune fille et pas une sorceleuse maudite, mais elle me rappelle également cette femme qui aime les vêtements, qui aiment les produits destinés à l’habillement. Je me souviens de l’avoir vu, à plusieurs reprises, observer des chemises sans savoir laquelle prendre alors qu’elles n’étaient guère différentes. Elle n’est peut-être pas matérialiste, mais elle aime bien s’habiller, elle aime prendre soin d’elle. C’est peut-être un stéréotype, mais elle aime les crèmes pour que sa peau soit belle, elle aime le far pour ses paupières, le rouge à lèvres pour ses lèvres, et les autres pigments pour s’embellir. Elle n’a que peu de bijoux – seulement des piercings à ses oreilles – mais elle aime à bien s’habiller dans des moments où elle retire un peu son rôle de sorceleuse, où elle est juste… Elle-même, sans son statut, sans ses armes, sans sa colère. Elle peut paraître superficielle, et c’est peut-être vrai. Elle juge énormément à l’apparence et à ce que dégage quelqu’un, qu’importe la situation, qu’importe le lieu. Mais c’est probablement parce qu’elle se donne énormément d’exigences qu’elle en demande autant aux autres. Une forme de pression qui se répercute sur les autres, j’imagine. C’est probablement pour ça que ses instants de légèreté sont si rares, qu’ils sont si éphémères et qu’ils sont si précieux. Coquette et pourtant sorceleuse, il s’agit là aussi d’une réminiscence de ce qu’elle était et de ce qu’on lui a appris à être en tant que femme. Elle ne se donne que rarement la permission de l’être totalement, mais pour les rares fois où ce fut le cas, laissez-moi vous dire que cela en valait le détour, même pour quelques minutes, que de la voir habillée d’une robe de soirée, bien maquillée et le sourire aux lèvres, ténu par la timidité qu’elle peut avoir parfois, surtout ainsi dénudée de son armure. La délicatesse et la finesse, la coquetterie dans un monde où la brutalité fait loi, une brutalité qu’elle possède et qu’elle serait capable de dévoiler en portant robe et escarpins. »

Dans le tumulte des souvenirs que le sorceleur convient de se rappeler, il y a celui-ci, ce tout petit instant lorsque tu as atteint la majorité dont tu te souvenais être dans ton pays natal. Il t’avait vu acheté de la peinture, des pigments, de l’encre et des aiguilles ainsi que du tabac et des feuilles sans savoir ce que tu en ferais. Ce soir-là, tu t’étais éclipsée dans des ruines que tu avais nettoyée au préalable et le sorceleur.. Il t’avait vu, discrètement, par curiosité, pratiquer un rituel ancien.

« La peinture est l’un des objets que j’associe à la jeune femme et je ne sais pas si vous comprendrez pourquoi mais… Je ne connaissais que peu la culture et les traditions d’Hakland. Mon comparse m’en avait parlé, un peu, puisqu’il y avait vécu suffisamment longtemps pour en connaître certaines. Toutefois, certaines traditions sont réservées au privé et faite dans l’intimité, et croyez-moi que ma jeune sorceleuse… Le terme privé, elle le suit à la lettre. Ça pourrait être un problème, d’avoir quelqu’un qui prend autant les choses au pied de la lettre qu’elle, mais dans certains cas, c’est un avantage. Son humour est peut-être parfois à côté de la plaque, parfois trop caustique et sarcastique mais c’est ce qui fait son charme aussi. Si, cependant, elle prend autant les choses à cœur – car oui, quand elle se décide à faire quelque chose, elle ira jusqu’au bout, quitte à perdre une partie d’elle dans la foulée – et au pied de la lettre, c’est parce que tout ceci fait partie d’une part de son éducation que nous avons pu déconstruire. Elle avait beau avoir renié sa ville natale et sa famille, elle est née en Hakland et en Hakland les traditions font lois. Elle n’est pas traditionnelle au sein strict du terme, mais elle respecte les traditions des lieux où elle va et des liens dans lesquels elle a vécu, elle ne se les approprie pas toujours – même si elle a pris quelques petites traditions du Nilfgaard – mais elle les respecte, profondément. Et elle les applique. Il n’y a pas une année où je ne l’ai pas vu faire la tradition annuelle d’Hakland pour la fin d’année, et les prières pour des dieux qui sont loin du feu éternel ou encore du grand soleil. Elle porte un soin particulier à comprendre les cultures dans lesquelles elle baigne et à s’en inspirer pour former sa propre culture, sa propre pensée, sa propre observation du monde dans lequel elle vit. Peut-être est-elle perfectionniste, mais je me souviendrais toujours de sa majorité, quand elle acheta les meilleurs produits pour un rituel dont elle nous souffla à peine quelques mots mais dont j’ai vu presque la totalité de la cérémonie. Elle avait enfoncé ses doigts dans de la peinture rouge, jusqu’à la moitié de la phalange, dessiné des arabesques sur ses bras, sur son cou, sur son visage tout en murmurant des prières que je ne pouvais comprendre et que je ne comprendrais jamais. J’avais failli intervenir quand elle avait pris les aiguilles et la peinture blanche et qu’elle avait percé sa peau pour l’encrer au niveau de son cou de petits points blancs que j’avais perçu le lendemain matin avec plus de clarté. Je ne sais où sont partis les points noirs. Tout ça pour vous dire que… Oui, elle est traditionnelle, elle aime les traditions et sa curiosité ne sera probablement jamais assouvie sur ce point, mais ce n’est pas pour autant qu’elle est conservatrice. Elle approche le progrès avec un œil curieux, peut-être quelque peu méfiant, mais sans pour autant être réfractaire à ceci. Toutefois… Pour ceux qui la croiseront et ne sauront pas qu’elle vient d’au-delà des montagnes bleues, il ne faut pas oublier que les mœurs sont différentes ici et là-bas. Elle pense différemment, et ce qui est naturel pour elle ne le sera pas pour vous et elle se battra pour vous le faire comprendre. Sa passion n’a d’égal que sa possibilité à être bornée. Toutefois, elle ne se battra que vous si vous refusez de comprendre qu’elle vient d’ailleurs et qu’en ce sens, elle n’est pas forcée d’être dans la même optique que vous. A l’inverse, si vous êtes bienveillants, elle se montrera plus conciliante et sera probablement ravie de vous apprendre quelques petites choses de ses terres qu’elle aime. Je l’ai déjà vue faire, avec un couple de Nilfgaardiens curieux, où elle discutait naturellement des coutumes vestimentaires d’Hakland en fumant une cigarette comme si de rien n’était. Ah, oui, il faut que vous sachiez cela aussi. Pour elle, un pays n’est qu’un pays et n’est pas une raison pour se détester. Ainsi, ne venez, surtout pas, lui offrir sur un plateau d’argent l’excuse que vous êtes de tel ou tel pays pour justifier votre comportement. Elle s’en fiche et n’hésitera qu’à peine plus à enfoncer entre vos deux yeux sa lance. Elle ne comprend pas – et ne veut probablement pas non plus – les enjeux politiques que ce continent a, elle s’en fiche et oui, son apolitisme lui trouve des ennuis mais elle les règle bien souvent d’un combat. Pour elle, la violence est une solution somme toute aisément trouvée pour régler un conflit singulier. Elle n’est pas bonne avec les mots pour ce genre de choses sanguines, ainsi, sa lance ou son poing parle pour elle dans bien des cas. Oh, et si par chance, vous réussissez à esquiver la chose mais que vous avez le malheur de lui avoir causer une crasse… Oh, fuyez, cachez-vous. Plus rancunière qu’elle, je n’ai pas vu, et pour elle, la vengeance n’est pas seulement un plat qui se mange froid, mais un plat qui se mange tout court. Elle viendra réclamer sa justice, le prix à payer pour tel affront. Œil pour œil, dent pour dent. Sa gourmandise du sang n’a d’égal que sa gourmandise réelle pour la viande et pour elle, le prix à payer est toujours celui du sang. »

Tu te souviens avoir abattu de nombreux monstres, maintenant. Ton bestiaire s’est élargi au cours des années avec la connaissance réelle des monstres. Toutefois, le jour où tu fis tomber une wyvern de son nid pour l’embrocher fermement… Ce fut une victoire dont tu gardas un trophée éternel.

« Je vous ai dit que la jeune femme dont je parle depuis bientôt plusieurs pages était parfois brutale, coriace et surtout pire qu’une mauvaise herbe quand il est question de rancune et de vengeance. J’ai l’impression de vous dépeindre un monstre sur bien des points, mais contrairement à bien des sorceleurs, elle n’a jamais pris le recul nécessaire concernant les remarques des gens autour de nous. Au lieu d’essayer de s’en protéger, elle a préféré devenir le monstre qu’ils essayent de voir et qu’au lieu de leur donner tort, elle leur donne raison. C’est une façon de faire qui montre juste une parcelle juste de notre vie : l’exaspération. Cette jeune fille en a vécu déjà bien trop pour ne pas en avoir marre, pour ne pas être épuisée de telles remarques en permanence, et ce sentiment qu’elle possède qui fait naître en elle furie et rage… Il est légitime. On pourrait la croire apathique et peut-être est-ce parfois le cas tant elle se fiche de la condition humaine, tant elle se fiche du reste du monde à un niveau aussi imposant qu’un corps d’archigriffon. Je l’ai vu pendre un homme de la même manière qu’une goule, sans un regard en arrière, sans une once de regret ni même de culpabilité. Je l’ai vu trancher la gorge d’une femme de la même manière que celle d’une wyvern, pour un affront qui n’était ni égal ni similaire. Elle garda, d’ailleurs, une écaille de wyvern après la première qu’elle tua, comme un éternel symbole de quelque chose qu’elle se devait de ne pas oublier : la frontière, la limite, la dernière, la plus fine, entre son humanité et sa monstruosité. Cette part instable où elle sait qu’elle peut faillir et tomber de l’autre côté, devenir un véritable monstre à apparence humanoïde. Pourtant, elle est raciste. Elle n’a rien contre les créatures humaines et non humaines, mais les monstres…. Il sera difficile d’avoir sa confiance et son respect si vous faites partie de cette catégorie. Je sais la raison de ce racisme, de cette haine, de ce manque de confiance. On l’a considéra comme un monstre pendant toute son enfant jusqu’à placarder un contrat sur sa tête comme si elle n’était qu’une vulgaire goule, et il n’y a en ce sens rien de très étonnant à ce qu’elle déteste ceux contre qui elle se bat avec autant d’ardeur. Je sais que je vous dépeins quelqu’un de viscéralement mauvais mais ce n’est pas le cas. Elle ne l’est pas. Elle est juste froide, dure, et dont les limites sont parfois plus larges que d’autres et dont la dureté recèle pourtant un aspect plus doux, plus humain quand on arrive à percer la surface de son armure. Cette femme est une curiosité mais une véritable représentante des anciens sorceleurs, avec la même rage, la même haine. Elle n’est, au final, qu’un produit d’éducations mixtes qui vont dans différents sens, à contre-courant de ce qu’elle connaissait de son pays natal. Ne vous méprenez pas, toutefois, elle ne tue pas par plaisir. Elle tue par obligation et parce que cela paye et parce qu’il s’agit là de son métier, de son avenir. Elle ne tue pas pour le plaisir de tuer et parce qu’elle se délecte de la mort sous ses doigts. Elle tue et assassine pour les couronnes et ce sens, pour elle, l’argent n’a pas d’odeur, n’a pas de visages, ni de race. Elle tuera humain comme monstre sans la moindre distinction pour le méfait commis. Peut-être qu’à vos yeux, cela fait d’elle une créature assoiffée de haine, ce n’est pas le cas. Les réminiscences de ce qu’elle connaît des valeurs d’Hakland sont là, sous sa rébellion, sous son insolence, sous sa brutalité, et il suffit juste de souffler sur ses braises que ni moi ni mon comparse n’avons réussi à réanimer. Ce n’est pas une personne horrible, et je vous conjure de donner un peu de votre temps pour le comprendre. Elle est simplement devenue ce que certains croyaient qu’elle était, la projection d’un souhait pour plus aisément en finir. »

Le sorceleur possède de nombreux souvenirs, une mémoire qui vacille à mesure que les années passent mais de tous les souvenirs qu’il peut avoir. Il y en a un qui le marqua profondément par son caractère anecdotique et pourtant si symbolique de la personnalité paradoxale que tu pouvais avoir. Une personnalité représentée par une pièce, ronde et dorée, portant encore les insignes de dragon blanc de ta ville natale.

« Le dernier objet symbolique de cette sorceleuse va vous paraître bien anecdotique et ridicule comparés à ceux que je vous ai déjà présentés jusqu’ici bien qu’ils ne soient, bien évidemment, pas des objets de grands luxes ou de grandes symboliques. Cet objet, qui n’est autre qu’une pièce frappée de sa ville natale, est pourtant l’objet le plus important qu’elle ait pu avoir. Comme j’ai déjà dû le mentionner, elle est très loin de ces gens matérialistes qui amassent objets et objets dans le simple but de se faire une collection et de pouvoir s’en vanter. Non, elle amasse peut-être de l’or mais chaque pièce est investie de manière réfléchie et calculée – à l’exception des petites beuveries dans lesquelles elle se joint sans mal. Vous pourrez peut-être la considérer de radine, d’avare ou même d’égoïste et sur certains points, c’est vrai. Elle est très loin de l’altruisme que l’on peut constater chez d’autres parce qu’elle ne donnera point aux autres et qu’elle gardera son argent pour elle… Et pour son enfant, même loin. Son argent, elle l’investit, elle le pèse, elle en fait attention et ce n’est pas pour rien qu’elle a pu se payer le luxe d’une telle armure ou d’armes de telle facture. Toutefois… Dans cet égoïsme, il y a une part de symbolisme. Chaque chose qu’elle peut acheter, autre que pour les besoins les plus nécessaires, deviennent des choses dans lesquelles elle met une valeur sentimentale. Elle estime chaque objet acheté comme précieux et le protégera au péril de sa vie. Cette pièce ? C’est pareil. Cette pièce représente tout ce qu’elle n’est plus et ne sera plus jamais tout en lui rappelant, toujours, son pays. Car elle a le mal du pays. Son pays natal lui manque, cruellement, alors… Sous sa froideur habituelle, n’y voyez pas un désintérêt pour des coutumes étrangères, simplement un mal plus profond qui l’empêche parfois d’être aussi extatique que d’autres le seraient à l’approche d’une nouvelle culture. Cette pièce représente la famille qu’elle a et celle qu’elle a aujourd’hui, même brisée, dispersée aux quatre vents. Ne méprenez pas non plus sa brutalité et son honnêteté crue pour une impossibilité à être un minimum empathique, pour être agréable. Elle l’est. Et contrairement à ce qu’elle dévoile, sous cette froideur glaciale digne des pics insulaires se cache une mère qui n’a jamais feint la maternité et la douceur qu’elle avait en tenant son petit entre ses bras. Derrière une impulsivité des plus féroces se dévoile une observatrice qui sait exactement l’environnement dans lequel elle se trouve. Derrière chaque meurtre se trouve une part de vengeance contre le monde, contre ses parents, une vendetta éternelle qui ne trouvera silence que le jour où sa tête se retrouvera sur un pic car sa motivation est sans pareille et que cette passion se retrouve dans tout ce qu’elle entreprend, que ce soit les contrats ou l’investissement qu’elle donne dans des relations. Car elle en a, et elle les chérit avec plus de douceur et de protection qu’un dragon ne serait capable de le faire.

Il est difficile d’avoir sa confiance, son respect et surtout, il est difficile de percer l’amure froide qui entoure son être mais une fois ceci fait, ce n’est certes pas du miel qui en découle mais une couche plus chaude, plus bienveillante que ce qu’elle veut bien dévoiler. Je ne vous mentirais pas, je ne vais pas vous dire qu’elle devient un sucre du genre au lendemain parce que ce serait faux, mais pour peu que vous vous en donniez la peine… Elle vaut les efforts que l’on met pour elle, et elle rend chaque effort, elle rend chaque pas fait, chaque main offerte. Si pour elle, chaque méfait se paye par le sang, chaque bonne action se rend d’un sourire et d’une accolade. Je ne vais pas vous mentir non plus, elle est l’incarnation de biens des stéréotypes que l’on dit sur nous… Elle est la neutralité absolue concernant la politique, et elle ne se mêlera jamais de ce qui ne la regarde pas, et n’hésitera pas à passer devant la veuve et l’orphelin sans un regard. Elle paraît être aussi la sorceleuse sans émotion ni sentiment, et c’est faux. Elle en a bien plus que certains d’entre nous. Le spectre de ses émotions est vaste mais caché par sa main, par son appétence pour le secret et le privé. Ses peurs sont secrètes, bien plus profondes que la simple peur de mourir, mais elle n’en touchera que rarement un mot. Ses peurs demeureront les siennes, grandissant dans le silence de sa confection. La peur de devenir un monstre, la peur de n’être plus rien, d’être oubliée, d’être ridiculisée, d’être abandonnée par les dieux qu’elle prit et auxquels elle offre des sacrifices. Si sa foi en l’humanité et toutes autres races de ce monde s’amenuise peu à peu, celle en des dieux semblables – si ce n’est identiques – à ceux de Skellige demeure inchangée, grandissante même. Ces peurs sont parfois irrationnelles, des peurs légitimes en son cœur, des peurs qui sont légitimes à la façon dont elle voit le monde, dont elle perçoit ce qui l’entoure. Elle est… Particulière, et je ne peux que vous recommandez deux choses, aussi paradoxales sont-elles que son propre caractère : approchez-vous, ou fuyez, mais faites-le avec vigueur, sans hésiter, ne le faites pas à moitié car si vous le faites, votre tête finira probablement détachée de votre corps. J’avais promis un nom, n’est-ce pas, si je finissais à écrire tout ça et que vous finissiez à le lire ? Ah, ma foi. Laissez-moi vous dire que comme elle, je suis capable de mensonges bien rodés, bien ficelés et vous voici en proie au mien, à ma propre manipulation. Je ne pourrais vous dire qu’une chose : un jour elle s’appela Soma d’une ville porteuse de dragons blancs. Désormais, elle est une illusion éphémère porteuse de tempêtes. A vous de composer face à ceci et de… »

– Lettre abandonnée dans des ruines de Velen, dont la fin est brûlée, écrite par un sorceleur de l’école du Rat dont il perdit une épée ici. Quelques mots sont écrits dans une langue inconnue au lecteur, signe que quelqu’un les rajouta par la suite : Du blir løyst frå banda som bind deg. Du er løyst frå banda som batt deg.