Dhu Mire n'était pas un des premiers souvenirs de Leanan, mais pas loin. Avant ça, il ne se souvenait que du visage flou d'une femme qui le confiait à ce qui serait ensuite son maître d'armes et son escorte. Il se souvenait aussi de la pancarte pointant à l'inverse de sa destination : "Blaviken". Ensuite, son enfance n'était constituée que de leçons, d'ecchymoses, de mélanges alchimiques et de combats. C'était un bon garçon, docile, avide de connaissances et s'entendant plutôt bien avec la plupart des autres apprentis. Il aimait bien Caliban, surtout. C'était un garçon du même âge que lui, quoique plus habile et plus fort au combat. Il était aussi plutôt mignon, même si Leanan n'admettait pas encore prendre ça en compte. Il était encore trop jeune, trop focalisé sur son apprentissage de Sorceleur pour se poser ce genre de questions. Et puis le rituel des herbes arriva. Caliban, malgré sa forte constitution, n'y échappa pas. Leanan fut parmi le peu de survivants à devenir un véritable Sorceleur, ce après de longues années d'entraînement et d'études. De longues années à s'endurcir, jusqu'à finalement ne plus rien ressentir.

Il l'ignore mais d'avoir perdu Caliban lui fit un choc au-delà de tout ce qu'il aurait pu imaginer. D'un coup, il rendit compte que cet entraînement était véritablement mortel, et que tout pouvait changer du jour au lendemain. Il réalisa que la vie, et le monde, étaient injustes et que les beaux principes qu'il lisait dans les livres n'étaient que des mensonges. Il valait mieux s'accorder à ce monde violent et cynique plutôt que d'essayer de le changer. Leanan était jeune quand il devint profondément désabusé et aigri.

Cela ne l'empêcha pas, dans ses pérégrinations et autres errances, de faire la connaissance de personnes qu'il estime aujourd'hui être des amis. Bon, si on lui demande, il parlera de pauvres tâches et de cloportes qui le suivent mais personne n'est dupe. Leanan n'est pas aussi fermé qu'il souhaite qu'on le pense, et il a de véritables amis sur qui compter, même s'ils sont rares. Des frères et sœurs d'armes avec qui il chasse, ou des contacts utiles dans certaines villes. L'une d'entre eux lui a même permis d'obtenir une maison à Beauclair, il y a de ça des décennies. La pauvrette était morte en 1270 de son grand âge, alors que Leanan continuait de parcourir le monde.

Il ne revenait pas souvent à Dhu Mire, principalement à cause du nombre de fantômes de l'endroit, et des souvenirs de Caliban qu'il préférait oublier. Cela faisait plus d'un demi-siècle que cela s'était passé, mais il était toujours en colère. Même s'il disait qu'il s'était fait une raison, ce n'était pas vraiment le cas.

Leanan n'est pas le genre de Sorceleur à qui on a envie de demander un service. Comme les autres, oui, mais celui là est pire. Il fait honneur à la réputation de l'école du chat d'être de sombres fils de dromadaire, mais en ce qui le concerne, il a amené ça au rang d'art. Il n'a que faire des pitoyables jérémiades de villageois trop pauvres pour s'offrir ses services : il leur prend toutes leurs couronnes s'il le faut, parce que lui aussi il doit manger et il a des factures à payer à Beauclair. Chacun sa merde, ok ?
Il doit son caractère revêche et amer à toutes les épreuves qu'il a dû affronter, tout cela pour se voir offrir en échange trois couronnes, un mauvais ragoût et un air dégoûté. Il refuse. Leanan vaut mieux que ça, et il estime dans le fond que le monde entier vaut mieux que ça. Les guerres et les préjugés raciaux l'ont tellement saoulés qu'il est prêt à envoyer paître les gens qui pourraient l'embaucher, s'il peut se le permettre financièrement.
Mais sinon, quand on ne le prends pas de haut, il s'avère être un bon compagnon. Cynique, comme le reste du monde dans lequel il évolue, sans une once d'espoir d'amélioration, tel l'ancien idéaliste qu'il est. Il fait son travail de Sorceleur avec sérieux, même quand il a envie de refaire le portrait à ceux qui l'embauchent. Et quand il s'ouvre un peu, on lui découvre un excellent sens de l'humour.
Sans être fidèle à la vie à la mort, Leanan est capable d'une certaine loyauté, et il tient parole quand il le peut. Ainsi, il a plusieurs amis sur qui il peut compter, et inversement.