Une journée ensoleillée à Novigrad était comme une journée pluvieuse à Beauclair : rare. Tu n’avais pas compté, mais depuis que tu étais arrivé dans la ville libre, tu savais que ces précieuses journées étaient aussi rares que la probabilité de trouver un phœnix en plein milieu de la ville et de ces ruelles malfamées qui n’attendaient qu’un naïf pour l’en dépouiller de ses rêves et espoirs. C’était quasi impossible, alors quand, ce matin-là, tu ouvris les rideaux pour voir le soleil éblouir la pièce, tu fus presque pris de l’idée que tu hallucinais. Non, parce que, les journées ensoleillées étaient rares au printemps et en été, alors… En hiver ? C’était presque de l’ordre du miracle. Novigrad, en cette période de l’année, alternait entre la pluie et la neige, avec des sous tons de brouillard voir de brume, ce qui ne rendait pas la ville particulièrement attirante, à ton avis. Il y avait bien mieux que ce genre de températures et de météo, et pourtant… tu restais, alors que tu préférais très clairement le climat plus sec et plus doux de Toussaint. Mais tu étais attaché à Novigrad, tu t’étais attaché à la ville libre si bien que tu te voyais difficilement en quitter. Rajouté à cela le fait que ton compagnon venait d’ouvrir son échoppe et que tu travaillais avec Elerinna… Bien évidemment, tu ne pouvais décemment pas quitter la ville. Oh, et désormais, tu devais rajouter à ta liste la nouvelle présence d’une personnalité aussi rare à voir en ville que le soleil : Malkha. Cette femme que tu avais rencontré il y a de ça un moment et que tu allais voir, parfois, lorsque le temps était clément et que tu pouvais ainsi naviguer dans sa grasse campagne sans mal. Mais désormais, cela n’allait plus être un problème puisque dernièrement, la magicienne avait décidée de déménager, quittant sa campagne boueuse pour les rues boueuses de la grande ville. Tu avais eu vent, avant même qu’elle ne t’annonce son emménagement en ville, de sa recherche de maisons dans la cité libre et tu avais fait jouer quelques-uns de tes contacts pour que le prix d’une maison convoitée par la magicienne soit très légèrement réduit – suffisamment pour que ce soit appréciable et notifié, pas assez pour que quiconque se doute de quoi que ce soit, et surtout pas elle. Tu connaissais la fierté des mages et tu n’avais surtout pas envie de venir te frotter à celle de la magicienne Beauclairoise, oh non. Alors tu préférais que tes manigances restent un secret à jamais scellé. De toute façon, il était de coutume que les manigances soient présentes à Novigrad, tu espérais que la magicienne en était consciente. Ce qui se faisait ici au grand jour n’était généralement que la partie immergée d’une ruine, tandis que le plus gros se passait dans les coulisses, avec des contacts et des ficelles tirées à chaque point de connexion. Une vie qui pouvait en déranger de nombreux, mais qui toi, t’allait parfaitement puisque tu trouvais ton compte dans l’obscurité.

Ainsi, en voyant les rayons du soleil ce matin, tu savais que c’était la journée que tu allais dédiée à la magicienne, pour lui faire découvrir – peut-être – les ruelles et coins intéressants de la ville, et peut-être la recruter pour qu’elle travaille à tes côtés. Après tout… Avoir une nouvelle magicienne dans tes contacts plus proches, ce n’était absolument pas négligeable. Et c’était une amie, c’était important. Sur ces pensées-là, tu attendis que ton compagne parte pour t’occuper de tes propres affaires avant de partir. Un bain, quelques vêtements chauds mais amples et confortables ainsi que quelques papiers rendus au coursier plus tard, tu te retrouvais dans le hall de ta salle des ventes, face à ton fidèle et impitoyable corbeau qui te toisait de ses iris colorés. Tu tenais un parchemin portant ton sceau dans la paume de la main pour qu’il le prenne en partant. « Asphodel, apporte ceci à Madame Ciniereth, tu veux ? Pas la peine de me regarder comme ça, je préfère annoncer mon arrivée plutôt que de la surprendre. Je ne sais ce que font les magiciennes à cette heure-ci, mais si j’en crois les balades de barde, je n’ai certainement pas envie d’y être confronté. Aller, va ! » Tu entendis le rire du corbeau avant que celui-ci ne décolle, attrapant le parchemin au passage et passe par l’une des fenêtres que tu laissais toujours ouverte. Suffisamment étroite pour qu’aucun être humain ne passe, suffisamment large pour que ton corbeau puisse s’échapper sans se faire mal. La fenêtre parfaite, tu devais avouer. Tu soupiras alors doucement avant d’ouvrir le petit bureau qui était dans la pièce, en sortant une carte de Novigrad que tu plias soigneusement ainsi que quelques papiers que tu déposerais sur ton chemin. Une fois fait, tu récupéras la grosse clé de ta maison, enfila ton long manteau noir et tu te décidas enfin à sortir de chez toi, affrontant le léger froid qui surplombait toujours la ville, même encore aujourd’hui. Tu rangeas la carte dans une des poches intérieure de ton manteau et enfila une paire de gants en cuir noir avant de commencer ta marche, saluant légèrement tes voisins qui te toisaient toujours assez curieusement. Comme convenu, tu passas par un des bordels d’Elerinna qui était situé en plein cœur du Dornal pour en déposer quelques papiers qui lui étaient dédiés et tu continuas à grimper en direction de là où la jeune femme avait élue domicile, soit un peu plus bas que la place du Dornal. Tu aurais pensé, au vue des goûts que tu pensais être ceux de la magicienne, qu’elle choisirait une maison et un lieu plus modeste, mais au fond… là où elle était n’était pas pour autant le cœur du quartier le plus luxueux de la ville, ce n’était, au fond, pas si déconnant. Et puis, en voyant sa maison, tu reconnaissais assez bien les goûts qu’avait la magicienne, même si cela contrastait brutalement avec ce que tu lu avais connu à Velen. Tu allais pour toquer à la porte quand tu remarquas, toutefois, que celle-ci était ouverte. Tu fronças légèrement les sourcils avant de pousser la porte, après avoir toqué malgré tout, et tu te retrouvas face à un méandre de cartons encore entassés dans l’entrée. Tu pourrais dire que tu étais surpris, mais avec le déluge de cartons que ton compagnon avait encore dans sa boutique… Tu n’étais guère plus étonné que ça d’en trouver pour un déménagement. Tu fermas alors la porte derrière toi avant de croiser le regard d’Asphodel, installé sur un chandelier. « Malkha Ciniereth est-elle ici ou s’est-elle perdue dans un de ses cartons ? » Tu demandas alors, suffisamment fort pour que tous les étages de la demeure t’entendent, si jamais. Tu esquivais légèrement les cartons pour rejoindre ton corbeau, passant tes doigts contre sa tête plumée, un sourire aux lèvres et attendant patiemment la jeune femme qui ne saurait tardée, tu imaginais. Si la missive n’était plus entre les serres de ton corbeau, c’était qu’elle était au courant. « Pour une fois qu’il fait beau, en plus, ce serait dommage qu’elle se soit perdue n’est-ce pas Asphodel ? » Tu soufflais en ricanant légèrement, ton corbeau n’hésitait qu’à peine à te juger sur tes paroles mais tu t’en moquais bien. Après tout, ce n’était pas grave. Une belle journée loin de tes obligations se profilait.  

Tu te souvenais, sans beaucoup de mal, du jour où tu avais décidé d’emménager à Toussaint, de tout ce qui t’avait précipité à tel départ, à quitter ce qui était un quotidien auquel tu étais bien plus habitué que tu ne l’étais originellement. Cependant, les évènements faisaient que tu ne pouvais tout simplement pas resté là où tu avais déjà établi une forme de routine, une forme de vie qui ne t’était plus accessible, désormais. Tu ne pouvais pas oublier ce qui t’avait poussé à tout quitter, à tout arrêter pour prendre une vie nouvelle en espérant chasser et garder les démons au plus loin que tu le puisses. Après tout, la mémoire et le souvenir de ton frère étaient toujours présents, louvoyaient toujours entre tes synapses dans l’espoir de te faire perdre un peu plus la tête, et rester dans l’endroit qui avait vu la mort et la désolation, ce n’était pas le meilleur moyen pour toi de te reconstruire. C’était pour ça que tu avais décidé de quitter le royaume de Cintra, que tu avais chevauché loin des ruines, loin de l’image cuisante du doyen essayant de te rappeler à l’ordre, loin de l’image cuisante du corps de ton frère disparaissant en poussière sous tes doigts pour qu’il ne reste rien de plus qu’une fiole que tu possèdes encore sur une de tes armoires. Tu es incapable d’oublier, tu le sais, mais à ce moment-là, tout ce que tu pouvais faire, c’était espérer fuir le plus loin possible et ne jamais revenir, jamais retourner dans le vif de ce combat que tu ne pouvais très clairement pas gagner, que tu ne pouvais pas essayer de combattre. C’était peine perdue. Tu le savais, alors, le mieux que tu pouvais faire, c’était fuir cette réalité qui te semblait bien trop compliquée, quand bien même tu savais que tu ne pouvais pas véritablement fuir, pas quand le souvenir était si fortement présent chez toi, dans ta mémoire comme sur ta peau par cette cicatrice qui brave la totalité de ton dos pour le scinder en deux de cette marque infernale qui brûle encore ton épiderme. Alors oui, tu avais fui Cintra, comme un lâche mais c’était la seule solution viable qui s’était présentée à toi, qui avait donnée du sens à ce que tu pouvais faire, c’était la seule réelle solution qui s’amenait comme une échappatoire et une manière de te racheter, de revivre, de ne pas rester coincé dans cette boucle infernale où ta vie demeurait un réel enfer. Alors, tu avais chevauché, pendant des jours, tu avais essayé de taire les sentiments contraires qui s’échappaient de ton corps, entre la tristesse et la rage, pour rejoindre les rives de la ville libre dont tout le monde clamait la grandeur.

Tu te souvenais, ainsi, du jour où tu étais arrivé face aux murs de la ville, face aux grandes portes qui fermaient cette ville pour ceux qui n’avaient pas les moyens de s’offrir le luxe de venir y vivre. Heureusement pour toi, les années avaient fait que tu n’étais pas pauvre et que tu pouvais aisément t’offrir une maison dans la ville libre, même s’il s’agissait de quelque chose d’assez pitoyable dans un quartier assez peu fameux, mais que tu aimais quand même, aujourd’hui. Il n’était certainement pas le plus beau, certainement pas le plus agréable et celui avec le meilleur voisinage, mais on te fichait la paix et être dans ce quartier avait clairement aidé à ce que ton commerce prenne de l’envol à ton arrivée. Tu n’avais eu personne pour t’aider à ton arrivée, tu n’avais que tes maigres connaissances et un peu de solitude avant d’arriver à faire ce que tu faisais de mieux, ainsi… C’était pour ça que tu tenais tant à accueillir la magicienne. Oh, bien sûr, elle était aux faits de ce qu’était Novigrad, quand bien même elle n’y avait pas vécu, ce n’était pas le plus grand dépaysement existant, mais tout de même. Il y avait un changement de contexte, de lieu, de vie, de style de vie, et tu pouvais bien croire qu’il ne s’agissait pas de quelque chose d’aisée, d’une décision impulsive. Alors, oui, tu t’étais dit que tu allais venir la voir, et l’accueillir correctement dans cette belle cité qu’était Novigrad, en plus du fait qu’elle était une amie chère à ton cœur malgré tout – quand bien même elle demeurait parfaitement ignorante sur ta nature des plus… Compliquée. Ainsi, tu lui rendis sans mal l’accolade qu’elle t’offrit à ton arrivée, une fois que tu étais certain qu’elle ne s’était effectivement pas perdue dans l’un de ses cartons à la manière d’une Alice dans le pays des songes. « Eh bien, ma foi, comme il fait beau aujourd’hui, je me suis dit qu’une petite visite de la ville serait parfait pour t’accueillir par ici, car après des années à patauger dans la boue de Velen, il n’y a probablement guère plus plaisant que de trouver des pavés. » Tu soufflais doucement, le rire dans ta voix parfaitement perceptible alors que tu scrutais du coin de l’œil Asphodel qui semblait somme toute exaspéré par tes paroles. Oh, il pouvait bien être exaspéré mais il était le premier à rire de tes blagues les plus nulles à ton sens, alors bon… Enfin. Tu reportais toutefois ton attention sur la totalité de la pièce que tu avais sous les yeux et l’amoncellement de cartons qui ne semblait pas prêt de désemplir de sitôt. Ça te rappelait ton arrivée, encore une fois, à Novigrad, et quand tu avais commandé – enfin – des meubles pour tes étages privés et que tous les cartons et meubles étaient arrivés le même jour à cause de délais de livraison. Un triste sort que tu avais été obligé d’accepter que celui de devoir tout ranger seul en espérant pouvoir bouger entre les meubles et les cartons. Un sacré bordel, oui, mais tu avais réussi à t’en sortir, malgré tout. Cela te rappelait aussi sans mal quand ton compagnon avait ouvert sa librairie et que les premiers jours étaient chargés d’autant de cartons. Toutefois, tu reposas ton regard sur la magicienne, croisant tes bras contre ton torse. « A moins que tu aies besoin d’un coup de main pour te débarrasser de certains de tes cartons ? » Après tout… C’était probablement la chose la plus normale à faire considérant son arrivée précoce en ville. Tu ne tardas pas à la suivre dans le dédale de cartons, évitant du mieux que tu le pouvais d’en heurter au passage.