Une terre de feu, là où seul le soleil frappait le sable dont le moindre grain agressait la peau la plus rugueuse en s’éparpillant sous le souffle du vent. C’était dans cet enfer de chaleur désertique qu’un son particulier avait écorché brièvement les dunes. Le désert de Korath venait d'accueillir un nouvel habitant. La mère, le visage drapé d’un voile aux teintes chatoyantes, souriait en serrant sa progéniture à peine sortie de l'oeuf contre son sein tandis que l’époux aux yeux d’ocre contemplait le spectacle, agenouillé à proximité. Dans cette tente à peine installée, la petite famille venait accueillir un nouveau membre : le fils était né. Un événement de taille qui anima tout le campement déjà en ébullition. A l’entente du premier son de l’enfant, plusieurs silhouettes se précipitèrent en direction l’habitation faites de voiles d’un jaune épice. Observant entre les minces mouvements de tissus, le reste du groupe contemplait le miracle de la vie d’un air charmé ; il n’y avait pas eu de naissance depuis de longues années, au point que la chose parut sacrée.
Karishna, la belle aux boucles brunes,  souriait d’un air béat face au visage reptilien de son petit. La transpiration dégringolait de ses tempes pour venir s’échouer sur son habit teinté de bleu à mesure qu’une profonde satisfaction l’envahissait. Le couple échangea finalement un regard des plus ému tandis que le petit reprenait son souffle vaillamment. Dédjever, quant à lui, délaissa son épouse pour mieux apporter un tissus à la fibre doré.
Les yeux emplis d’une reconnaissance extrême, le père admirait celui qui serait son successeur, sa fierté.

Manendra pour l’esprit. Jivraj pour la vie. Mon fils, tu promets un grand avenir aux dragons. Avait-il soufflé en installant ce qui semblait être un nid.

Ainsi, le petit Elreidor venait de naître en ces terres hostiles dont les nuits aux étoiles parfaites le berceraient de nombreuses années.

La vie de nomade qu’avait choisi ses parents fit la sienne également, bien que pendant un temps la course aux chemins cessa. Il fallut plusieurs années à l'enfant pour maîtriser sa nature, mais cet apprentissage avant de se lancer dans le monde extérieur fut nécessaire ; Manendra ne pouvait afficher sa nature draconique au grand jour. Son père s'employa donc à le former jusqu'à ce que son aspect de bambin humain fut assez abouti pour le laisser gambader tandis que ses parents tenaient l'échoppe de bijoux durant les jours de marché.
Allant de ville en ville, de port en port, la troupe revenait toujours dans ce désert laissant libre court à leur véritable nature et ainsi le petit grandit en se nourrissant de voyages, de paysages divers et de ciels pures.  . Dès qu’il fut en âge de marché, Manendra progressait sur les dunes avec habileté, riant quand une bourrasque le désarçonnait. C’était le seul, l’unique enfant de la troupe, car pour une raison obscure ceux qui étaient venus au monde avant lui avaient connu le même et unique sort tragique : la mort à l’aube de leurs trois ans. Une peine lourde à porter que cette nouvelle bouille venait chasser.
Reclus dans cet océan d’ocres et d’orangés, les dragons purent partager leur savoir à leur descendant, le vent accompagnant leurs récits d’une musique naturellement divine. Manendra entendit ainsi des contes d’un monde dont il ne foulerait jamais le sol et apprit sa nature à la façon d’une évidence. Toutefois, sa naïveté ne put deviner pourquoi cette errance perpétuelle était capitale concernant son peuple mais il s’y pliait sans rechigner. Il était encore vierge de la cruauté de ce monde, totalement pure et innocent, évoluant dans les légendes de l'univers déchu de ses parents...

Les années passèrent. Le temps devint aussi poudreux que le sable que cette troupe de marchands de joyaux arpentait au gré des vents. Combien de décennies s'écoulèrent dans cette quiétude ? L'esprit de l'érudit songe parfois à plusieurs siècles, juste de quoi de faire lui un homme en devenir suffisamment robuste pour écouter son père. Désormais presque aussi grand que son géniteur, Manendra prenait plaisir à se muer en un reptile lors des nuits dans le désert. Il découvrait et explorait ses capacités de polymorphie en suivant les conseils avisés de ses aînés, au moins eut-il cette chance. Toutefois, la renommée de ses marchands de biens précieux se faisait de plus en plus grande et l'appât du gain n'est pas seulement réservé aux dragons... Loin de là. Rongé par le désir de s'accaparer les richesses de cette troupe itinérante, une bande de pillard se glissa à la faveur de la nuit non loin des tentes endormis. Tandis que les souffles tranquilles s'échappaient des poitrines assoupies, des mains contenant des poignards tranchèrent les gorges qu'ils purent et assassinèrent ceux qui osaient se réveiller. Pris de court par cet assaut minutieusement établi, Karshina eut à peine le temps de prévenir son fils vis à vis de la menace que représentait les hommes.

Cache-toi d'eux. Ne leur montre jamais qu'elle est la vérité en ton cœur... Tu es un trésor Manendra. Le plus beau de tous. Vis. Fais tout ce que tu peux pour vivre mon enfant... Ton père ne t'a pas appelé Ivraj pour rien tu entends ? Vis... Fais honneur à notre race.

Ces mots venant tout juste de franchir ses lèvres, la tente avait accueilli plusieurs intrus en son sein. Tournée vers l'ennemi, celle qui veillait son fils, pivota dans leur direction. Le corps tendu, elle était prête à s'interposer et c'est ce qu'elle fit. La lame avait transpercé sa poitrine. Le sang d'ordinaire rouge semblait noir dans l'obscurité et le jeune adolescent fut stupéfait des gouttes qui colmatèrent le sable en une tâche massive.
Les genoux a même le sol, il avait contemplé la crinière sombre de sa mère. Elle était belle, même dans la mort.

Ce qui suivit s'avéra la période la plus difficile de sa vie. Ses poignets enfermés par des fers, il avait été entraîné par les agresseurs de son unique famille jusque dans une cité obscure de l'autre côté de son monde où il devint garçon de cuisine. Robuste et beau garçon, il était dans une demeure de haut rang où il effectuait les basses besognes pour contenter une maîtresse sans cœur. Ayant trop peur de se rebeller en mettant au jour sa véritable condition, il semblait presque muet.
Les liens de fers toujours présents sur ses poignets mordaient sa chaire nuit et jour, mais que voulez-vous « Madame » trouvait ce signe d'appartenance saillant. Il avait tenté de les enlever, en vain.
Condamné à regarder le ciel de la paillasse dans laquelle il dormait, Manendra ressentait un goût amer en bouche. Il revoyait dans une succession d'images le feu de camp, les mains tapant en rythme à mesure que les anciens commençaient à chanter au sein des tambours, les étincelles rougeoyantes se perdant dans le bleu profond de la nuit et tous ses visages... Puis, un soir l'occasion se présenta pour se dérober à cette existence. Il fuit à la hâte, ne sachant pas où aller, ôtant ses bracelets douloureux en les brûlant sous sa forme draconique bien que les cicatrices demeureraient à jamais sur sa peau.

Libre il l'était à nouveau. Aussi rejoigna-t-il son désert chéri pour s'y ressourcer. Mais cette magie de l'enfance qui s'était évaporé ne reviendrait jamais et cette solitude qui l'accompagnait partout où il allait le rendait véritablement nauséeux. Où était passé les chants ? Les rires ? Il avait tant goût à cela... Pure facéties.
Manendra se mit donc à errer, comme on lui avait appris durant son enfance. Il parcourut les grands espaces, le ciel devenant son domaine, car seuls les nuages méritaient de savoir qu'il était une bête aux écailles chatoyantes.

Ses yeux virent des conflits naître puis disparaître. Ses poumons respirèrent la douceur des roses tout comme la poudre. Ce fut dans cette course au grand air qu'il rencontra finalement Zibhorra. Cette humaine aux traits délicats l'avait recueilli par hasard, au bord d'un chemin. Elle menait une vie d'herboriste simple dont les dons demeuraient restreints. Néanmoins, quelque chose toucha le dragon qui passa plusieurs jours en sa compagnie. Les semaines devinrent des mois et des mois des années. Le couple formait un ménage heureux et pour la première fois depuis longtemps Manendra ne se sentait plus seul.
Une petite fille vint couronner le bonheur des jeunes gens, mais réalisant ce que cela impliquait, Manendra dût se résoudre à révéler sa nature à son épouse. L'annonce eut un effet dévastateur. Zibhorra, se sentant trahi, trahi le secret de celui qu'elle considérait comme son époux et proposa un prix conséquent à celui qui viendrait à l'abattre. Mortifié à cette idée, Manendra quitta son foyer et abandonna sa fille à son grand regret. Qu'est-elle devenue ? Il n'en sait rien, même si il songe de temps à autres. Il aurait aimé la voir grandir...

L'âme lasse, Manendra reprit sa route. Le temps revêtit sa course folle, trimbalant avec lui cet être brisé. Pourtant, au travers de ses voyages, le nomade accumula un savoir. Curieux de tout, il questionnait chaque nouvelle culture, chaque nouvelle terre qu'il parcourait ; Manendra devenait peu à peu un puits de connaissance dont le sourire demeurait rare. Il eut plusieurs aventures en chemin, mais jamais il ne s'attarda. C'était un être déraciné dont les rêves demeuraient hanté par ce désert, ces légendes et ces étoiles...

Vint Hakland, la terre des terre, et jamais il n'avait vu pareille chose. Des exilés, venus de mondes semblables au sien vivaient dans une harmonie qu'il trouva apaisante. Usé de parcourir tant de chemins, il s'arrêta dans la cité Gaimnhold pour ne plus jamais en partir. Peu à peu, il s'établit un atelier, se démarqua du reste de la populace par son esprit au point de devenir un courtisan proche du pouvoir, puis ambassadeur. Il vit le futur Comte grandir d'un œil bienveillant avant de s'éparpiller aux quatre coins des terres pour établir des contacts ; de bon cœur cette fois. Il envoyait plusieurs missives selon la semaine, tenant celui qu'il servait au courant de sa mission.
Il retrouvait grâce à ces nouvelles rencontres une nature apaisée, heureuse, sereine. Son périple ayant désormais un sens, Manendra densifia son savoir en puisant dans toutes les bibliothèques possibles. Il côtoya mages, elfes, dragons et vampires, car tout l'intéressait.
Après de longues années à veiller pour les bienfaits de sa citée de coeur, il se décida à rentrer en son domaine.

Aussitôt arrivé fut-il mis au courant d'une situation dramatique... La seule héritière n'était plus au sein des murs, chassé par une pensée stupide. Peut-être que cela fut sa première colère envers celui qu'il considérait comme son ami le plus solide. Il avait tempêté si fortement que la mission de retrouvé la jeune fille devint son prochain objectif.

Tout en faisant ses paquetages, il avait inspecté le portrait qu'on lui avait confié. Elle semblait si jeune... Il en avait soupiré d'exaspération avant de repartir sur les routes. A nouveau. Sa vie n'était plus qu'une succession de cartes... D'errances.

Manendra est de ceux dont le visage ne sourit que lorsqu’il est amusé, ou que le sarcasme égaye sa bouche d’un rictus significatif. Ce visage servant si souvent les intérêts de la maison auquel il appartient semble des plus mouvant ; tantôt sombre, tantôt conciliant, on ne sait jamais sur quel pied dansé en sa compagnie. Habile avec les mots, la manipulation est chose facile, d’autant que l’expérience d’un millénaire de vie n’a cessé d’accentuer cet aspect de sa personnalité. Toutefois, cela ne l’empêche pas d’avoir conscience de l’aspect tortueux de certains de ses ennemis, aussi a-t-il une tendance à la prudence surprenante ; les humains peuvent-être si imprévisibles après tout.
Secret, il l’est au plus haut point. En matière d’intimité, Manendra semble être un puits sans fond. Personne ne sait de quoi est fait son passé, ni même ce qu’il a pu traverser et ce flou l’arrange, car à tout étaler sur la place publique on finit par ne plus faire peur à personne. Conscient des risques de son poste, le dragon préfère inspirer une légère crainte à ses ennemis plutôt que de montrer patte blanche directement. Ne dit-on pas que la meilleure défense reste l’attaque ? Eh bien voilà comment il fonctionne. Tout est une question de psychologie, loin de lui l’idée outrancière de dépecer le premier venu, même si cela demeure une possibilité alléchante quand il se trouve face au pire des crétins.  Le dragon n’aime nullement l’idée de sous-estimé ses adversaires. Il s’impose une éthique rigoureuse, prônant l’égalité des races, bien que selon les instants il se sente profondément exaspéré par certains types de comportements. Mais peut-on réellement juger toute une race sur les agissements d’un être ? D’un seul ? Non. Il ne s’abaissera pas à cela…
Pourtant, malgré cette nature changeante, ce don à manier les mots, l’érudit affiche un visage plus souple en privé ; il sourit, plaisante et ouvre son cœur progressivement, montrant sa profonde bienveillance à l’égard de ceux qu’il finit par considérer comme ses proches. Sa nature rassurante fait de lui une figure masculine forte, apprécié pour son assurance. Au-delà de ça, de cette attitude impeccable, Manendra possède une âme fidèle, traînant son lot de bagages, car après tant d’années sur cette terre il est impossible de réchapper aux misères de l’existence.
Protecteur il l’est tout autant que secret, ce qui rend parfois ses réactions énigmatiques. Jaloux comme tendre, il manifeste son attachement par des gestes, des paroles, n’aimant guère parler de façon passionnée. Après tout, il a passé l’âge des enfantillages et des déclarations enflammés que seuls les jeunes cœurs arrivent encore à manifester, lui, c’est toute autre chose qu’il transmet et partage. Le dragon gère ses sentiments avec parcimonie afin de ne plus être blessé car il ne connaît trop bien cela.
La violence n’est, selon lui, jamais la solution, mais il lui arrive de l’employé par moment s’il estime cela nécessaire.  Cruel si on vient à véritablement le blesser, il peut annihiler la vie sans remord une fois pousser au bout de sa personne puis réaliser son erreur avec une légère amertume en bouche, sauf cas exceptionnel. C’est aussi cette raison qui le pousse à être dans une réflexion permanente pour éviter tous types de dérapages. Manendra pense. Il pense et réfléchit si fort qu’il semble être un dédale pour lui-même.
Actif, c’est un homme qui prend soin de sa personne. Rien de bien fantaisiste cela dit ! Il a simplement une conscience qu’il est en représentation constante en tant qu’ambassadeur et qu’il se doit d’être impeccable. Ses tenues sont toujours raffinées, serrées à la taille par une ceinture dont le fermoir est fait d’or. Conservant sa nature particulièrement avide de richesses, Manendra aime à posséder des objets à la valeur inestimable, cela l’apaise, le réconforte… Voilà pourquoi il restera toujours un de ces grands serpents d’Hakland. L’or chatoie si joliment à ses yeux, c’est presque une caresse sur sa peau dont il ne pourrait se séparer. Un vice propre aux dragons il est vrai…

Soigneux et appliqué, Manendra prend le temps de faire les choses, de soigner ses biens les plus chers. Il aime à profiter pleinement de l’instant, quitte à favoriser un temps long, mais cela ne signifie pas qu’il n’est pas un homme d’action. Au contraire ! L’exigence qu’il s’est imposé mêler à une existence vieille de plusieurs siècles lui permet d’agir avec une précision chirurgicale lorsque le besoin se fait sentir.
Venez donc vous frottez au dragon… Il promet de vous recevoir avec son regard le plus énigmatique.