The witch's dance

Malkha n’avait jamais eu cette chance, de croiser quelqu’un qui la comprenait réellement. Enfin si. Mais elle avait laissé passer sa chance, imbécile qu’elle était. Mais toutes les autres personnes dans sa vie n’avaient jamais été très compatibles avec elle. Ses parents… Ce n’était même pas la peine de les évoquer. Ils avaient bien fait semblant au début, puis ils ont dévoilé leur véritable nature. Et sa sœur… Aussi sympathique et généreuse était-elle, elle n’était en rien une confidente. Elle avait vite repris le rôle de mère auprès d’elle. Elle était bien plus compréhensible que sa véritable génitrice bien sûr. Mais elle était beaucoup trop occupée à s’occuper de sa sœur, à trouver de quoi survivre… Pour réellement être à son écoute, et partager des moments avec elle, comme deux véritables sœurs. Malkha n’avait pas beaucoup d’amis non plus. Les gens qu’elle fréquentait le plus, c’était ses clients. Et elle ne sympathisait pas avec eux.

Voilà pourquoi elle était très contente à l’entente des mots de son compagnon le vampire. Elle s’était rarement sentie aussi comprise qu’en cet instant. Et pourtant, n’importe quel autre convive aurait jugé sa conduite comme étant celle d’une narcissique femme beaucoup trop imbue d’elle-même à juger tout ce qui bougeait. Oui, cela faisait longtemps que des paroles n’avaient pas fait autant de bien à Malkha. Elle qui vivait toujours dans la solitude, n’avait jamais réellement appris à apprécier la validation des autres.

« Je dois dire que je ne pensais pas que nous étions à ce point similaires. Néanmoins, tu dois avoir une importante longueur d’avance sur moi. Ton métier te permet beaucoup de choses comme tu dis, et vu ton âge, tu as eu près de quatre fois le mien de temps pour étudier le genre humain. Tu dois en savoir bien plus que je n’en apprendrais jamais au fond de ma petite cabane dans les bois. »

Elle posa son regard sur le verre que portait à ses lèvres Elijah. Il ne fit pas de grimace en avalant son contenu.

« Tiens, tu as trouvé quelque chose de buvable ? » Elle fit un tour de salle du regard. « J’ai bien peur d’avoir raté le plateau. Je vais attendre que ma gorge se dessèche encore un peu et guetter le serveur qui porte des verres remplis de liquides aux teintes rougeâtres et qui sont parfaitement propres à la consommation. »

Et puis, ses yeux glissèrent sur le buffet. Elle l’avait presque oublié ! Mais son estomac vide lui rappela que la faim ne s’oubliait pas si facilement. Elle fit donc un sourire au vampire, accompagné d’un pas en avant.

« Je vais aller voir si la nourriture est moins abjecte que les boissons servies. Si tu veux me suivre… j’aurais ensuite un jeu à te montrer pour les curieux de la nature humaine que nous sommes. Il nous permettra de nous dégourdir un peu les jambes et de… Comment dire… ». Elle marqua une pause, avant de faire une élégante révérence légèrement trop exagérée. À dessein, bien entendu. « De nous familiariser avec les fastueuses habitudes et manières des bonnes gens que nous observons depuis tout à l’heure. »

Elle fit volte-face et se dirigea donc vers le buffet, d’un pas léger. Elle sentait encore quelques regards peser sur elle, et reprit alors son froid visage, pour décourager quiconque der lui lancer un regard noir. Elle posa le sien sur les différents mets face à elle, étalés sur la table. Elle attrapa une bouchée de saumon fumé sur un petit morceau de pain au fromage, ainsi qu’un amuse-gueule semblable mais avec de la viande séchée et du pain aux céréales.

Rien à dire. Le cuisinier avait un talent que le faiseur de boissons n’effleurait même pas.

L’euphorie, l’extase du moment. Malkha était en train de se perdre dans cette réception fastueuse dont les aveuglantes couleurs et lumières étaient – à dessein - en train de l’hypnotiser. Elle se laissait aller à la fête, et elle savait pertinemment que c’était le but des organisateurs de faire en sortes que les convives se perdent. Mais dans quel but ? La sorcière avait sa petite idée sur la question. Ce genre de festivités était l’occasion idéale pour le monde entier de s’abreuver de tous les ragots du moment. Les secrets, bien dissimulés sous les belles parures colorés des convives, s’échangeaient, se perdaient à cause de la boisson ou de l’inattention, tombaient dans l’oreille indiscrète d’un invité un peu trop curieux… Ils tournoyaient dans les airs, négligemment lâchés par les gens inconscients de l’impact d’un secret, et étaient attrapés par des gens bien plus conscients de l’utilité de ces commérages, qui allaient les réutiliser intelligemment pour leur compte.

Grand bien lui fasse, Malkha n’avait pas de secrets. Enfin, rien qui ne soit intéressant pour qui que ce soit. Elle n’avait participé à aucun régicide, n’avait pas pris de parti politique quelconque… Son seul tort aux yeux de la société était peut-être son inclination à défendre les non-humains et les mages : mais quoi de plus normal ? Elle était l’un d’eux, et la défense de leurs droits et de leurs vies impliquait qu’elle se défendait elle-même, et se protégeait d’une éventuelle fin sur le bûcher. Il fallait être honnête : Malkha ne s’était jamais impliqué dans une quelconque cause. Elle ne faisait que s’occuper de son cas. Selon ses propres mots, ce n’était pas de l’égoïsme… C’était de l’égocentrisme réfléchi. Elle savait que quiconque se désignait comme défenseur d’une quelconque cause, s’exposait à de grands problèmes, car toute cause avait ses opposants.

Ce soir, point de grande cause à défendre. Sinon que la sienne, face aux vautours cachés sous leurs masques, qui attendaient patiemment la moindre opportunité de picorer de précieuses informations.

Elijah n’avait pas totalement tort, mais elle ne lui donnait pas raison non plus. Sa vie n’était pas assez diversifiée pour qu’elle voit défiler régulièrement tout le genre humain. Par contre, elle lui accordait totalement un autre point : le buffet était délicieux. Mais il n’était plus temps de s’attarder sur le buffet ; Malkha avait de toutes façons un appétit de moineau. Elle lança un regard malicieux à Elijah, tout en gardant constamment un œil sur les alentours et sur la salle de réception.

« Ce jeu est très simple, et à vrai dire, nous avons presque déjà commencé à jouer. Il peut se jouer de deux manières. Cela dépend si tu es à l’aise avec la danse, ou si tu préfères simplement déambuler. »

Elle décida tout de même de prendre un dernier met avant de s’éloigner du buffet, mais se contenta d’attraper quelques grains de raisin.

« J’ai inventé ce jeu avec quelqu’un que je connaissais très bien, mais qui avait surtout une particularité : c’était une personne capable de discerner la nature des gens. »

Elle émit une pause, juste histoire de profiter d’un instant pour penser à cette fameuse personne. Son coeur se serra imperceptiblement, et comme à son habitude, Malkha prit le contrôle sur ses émotions, pour ne rien laisser paraître.

« Il s’agit de deviner la nature des gens. Leurs secrets plus précisément. » reprit-elle calmement. « Le seul problème ici, c’est que nous n’aurons peut-être jamais l’occasion de connaître la vérité sur nos hypothèses. Mais nous pouvons partager nos connaissances de l’autre librement ainsi. Je suis sûre que tu connais des détails intéressants à repérer, qui permettent de trahir une personne. Pour ce qui est du jeu, cela se joue chacun son tour. Le premier indique à l’autre une personne, et demande à son partenaire de lui dire le maximum de choses possibles sur elle. Puis on inverse. »

Elle parvint enfin à attraper un verre de vin elle aussi, alors qu’un serveur était passé juste devant elle. En effet, le vin de Beauclair était délicieux, et bien sucré, comme elle l’appréciait. Elle leva son verre vers Elijah, et lui lança un petit sourire.

« Alors, qu’en penses-tu ? »

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