Les sorceleurs et leurs invités;

☾☾Maintenant que tu étais installé à cette table, tu pouvais déjà déceler la légèreté et la trivialité qui était bien souvent de mise en cette compagnie, mais cette fois, elle avait bien du mal à t’atteindre tant ton esprit était obscurci par un voile bien trop opaque pour espérer y voir au travers. Tu rendis tout de même son regard et son sourire à ton frère, préférant garder l’image de la sœur qu’il avait toujours connue. Au moins pour ce soir, au moins essayer. Tu avais pris place au côté de Galaad qui t’assurait de ne pas être en contact directe avec le mage oniromancien et tu tentas tant bien que mal de t’effacer maintenant que tu avais fait l’effort de venir, de montrer que tu étais en vie, de prétendre que tout allait bien. Tu ne voulais pas affronter le regard d’Hashmàl, pas maintenant, pas encore. Tu ne voulais pas répondre à d’éventuelles questions sur ton état, tu voulais boire et essayer d’oublier l’espace d’une simple soirée. Juste essayer. Tenter l’impossible… Tenter.

Tu voulais t’oublier. Te faire oublier.

C’était malheureusement peine perdue et personne n’avait manqué de remarquer ton arrivée. Fort heureusement, le premier qui fit un pas vers toi fut le loup de ton amie sorceleuse. Tu savais à quel point les animaux savaient faire preuve de bien plus d’empathie que les humanoïdes, tu savais à quel point ton corbeau prenait sur lui pour porter avec toi le fardeau de ta mémoire et de tes émotions chaotiques. La présence animale était donc bien la seule qui arrivait à tempérer un tant soit peu l’ouragan qui grondait au fond de ton crâne et de ton cœur. Tu accueillis alors la présence du loup et le petit coup de museau qui donna dans ta main pour réclamer des caresses avec un léger sourire et tu le gratifias que quelques gratouilles entre les oreilles, appréciant le toucher rugueux de son pelage. Il était difficile de savoir s’il s’était approché de toi parce qu’il avait senti que quelque chose clochait ou non, mais quoi qu’il en soit, tu lui étais reconnaissante de cette affection quand tu savais pertinemment qu’à l’instar de son humain, il n’était pas prompt à en dilapider auprès de n’importe qui.

Tu tentas donc de faire abstraction du reste, de te concentrer sur l’animal et le semblant de calme qu’il parvenait à t’apporter. Tu parvenais enfin à te détendre mais comme à chaque fois, cela était à double tranchant. Depuis que tu étais parvenu à utiliser tes capacités psioniques, il était aussi, et paradoxalement, devenu bien plus difficile de les contenir lorsque tu ne te concentrait par pour le faire et tu captas les pensées de la sorceleuse que tu ne connaissais pas. Tu captas son aversion envers ta profession et par extension, envers ta personne, tu parvins à déceler son incompréhension quant à ta rpésence dans cette réunion au sein de laquelle tu n’avais pas ta place. Tu reportas ton regard sur elle, froid, peut-être plus tranchant que tu l’aurais voulu mais tu étais bien incapable de le contrôler. Tu lui aurais bien rétorqué que sur certain aspect, tu avais parfaitement ta place ici… Tu aurais pu être sorceleuse, tu en avais eu la formation, tu en connaissais le mode de vie pour l’avoir pratiqué de longues années durant, tu avais certainement la témérité suicidaire pour l’être, tu avais appris à te battre comme l’un d’entre eux, tu figurais surement parmi ceux qui les respectaient le plus dans ce monde pourri et tu portais l’attribut qui leur était propre, hérité de ton père. Malgré tout cela, tu avais décidé de ne pas l’être. Un choix que la plupart des sorceleurs n’avaient pas. Tu avais décidé de ne pas l’être, par choix, par amour pour une passion, pour réaliser un autre rêve et pour respecter la dernière volonté d’un vieux sorceleur. Mais tu aurais pu et tu avais encore eu l’occasion l’année passée d’appartenir à cette caste que tu admirais tant. Mais ta volonté de respecter le souhait de ton père était plus grande encore que celle de lui ressembler coute que coute.

Alors te voilà barde, représentante d’un métier à la fois si apprécié et décrié, appartenant à une caste qui améliora autant qu’elle détériora l’image que pouvaient avoir toutes ces personnes qui t’entouraient ce soir. A vrai dire, et au-delà de ton malaise personnel, tu avais peur d’une certaine manière que les sorceleurs présents qui ne te connaissaient pas puissent t’en vouloir pour les propos des colporteurs qui ne méritaient même pas, à ton sens, le qualificatif de barde quand bien même ils savent composer et faire rimer les mots. Pour le mériter, si sa vocation n’était pas de se consacrer aux fables purement imaginaires et fantaisistes, il fallait au moins, si ce n’est dire la vérité pure et brute, ne faire que l’enjoliver sans la déformer. Tu faisais partie de ces bardes qui tentaient de retranscrire le monde dans sa complexe entièreté loin d’être manichéenne et sans s’arrêter aux rumeurs et apriori sans chercher plus loin. Tu ne voulais pas donner au public le confort de ses œillères mais tu voulais lui montrer un monde qu’il refusait parfois de voir. De ce fait, tu ne voulais pas que l’on te prête des intentions négatives à l’encontre des sorceleurs dont, à l’instar de celle des monstres pacifistes, tu avais choisis de défendre la cause de l’honneur à défaut de pouvoir en faire partie.    

Alors te voilà barde et non pas sorceleuse et si la brune qui se trouvait face à toi avait quelque chose à redire, si elle n’était pas contente et bien… et bien rien, tant pis pour elle, tu n’avais pas l’intention d’y remédier ni la prétention pour. Elle pouvait bien te dénigrer pour ce que tu en avais à faire. Cela ne faisait que la desservir au final, elle qui arborait le même dédain dont elle pouvait faire l'objet par sa nature sans le moindre fondement. Et puis si elle était un minimum intelligente, elle comprendrait que si tu étais là ce soir, si tu arborais un médaillon de sorceleur et si tu étais proche de la moitié des sorceleur présent à cette table, c’était surement que tu voulais en aucun cas les mettre en porte-à-faux. Mais bon, encore une fois, soit, grand bien lui fasse. Elle pouvait te détester, te dénigrer pour ce que tu en avais à faire. Tu n’étais pas là pour débattre, tu étais là pour tenter d’alléger ton esprit le temps d’une soirée.

Et quoi de mieux pour le faire qu’ajouter une couche supplémentaire d’alcool par-dessus celle que tu t’envoyais déjà quotidiennement ? Mais le sort avait décidé de s’acharner et la chope que tu avais subtilisée à un sorceleur inconnu en venant ici était vide avant que tu en goute le contenu. La salvation vint cela dit d’une personne sur laquelle tu n’aurais pas parié et Hashmàl fit glisser une bouteille de vin dans ta direction. Tu la saisis presque timidement avant de t’en servir un verre et de le lever à peine dans sa direction pour le remercier silencieusement. En tout cas jusqu’à ce qu’il te pose une question à laquelle tu étais bien obligé de répondre, ne serait-ce que par politesse. Et même si cette notion ne figurait plus parmi tes priorités depuis quelque temps, tu ne voulais tout de même pas lui donner l’impression de lui en vouloir d’une quelconque manière quand il n’avait fait que répondre à une de tes requêtes et quand il n’était en aucun cas responsable des choses que tu avais vu dans ta mémoire. « Long et fatiguant. Et si nous sommes tous deux présent ce soir, c’est que nous ne sommes pas si exclus que cela. » Ajoutas-tu en jetant un fugace regard à l’intention de la sorceleuse qui te portait autant de dédains avant de reporter ton regard sur ton verre et d’en boire le contenu d’une traite. Ce nouveau malaise fut cela dit écourter par l’intervention de ton voisin. Galaad, ainsi que les autres personnes présentes semblaient en effet obnubilées par un spectacle que tu n’avais jusqu’à présent fait que remarquer du coin de l’œil. Ton amie sorceleuse ainsi qu’un elfe arborant un médaillon de l’école de chat était en pleine conversation et tu ne remarquas que maintenant l’intensité du regard que le blond lançait à la louve. Pauvre de lui… C’était bien la seule chose que tu pouvais dire sur la situation. L’infortuné ne semblait pas comprendre à quel point il se heurtait à un mur mais sur le coup, tu étais davantage compatissante avec ton amie qui semblait de plus en plus irritée par l’intérêt que l’on pouvait lui porter pour une simple conversation qu’elle aurait pu mener comme une grande sans que personne ne mette son grain de sel. Ils n’avaient donc aucun autre sujet de conversation ?

Tu n’eus, cela dit, pas le temps de répondre à la question de Galaad avant qu’Otsumi mette un terme à la distraction dont tout le monde semblait se délecter sans vergogne. Le message était clair, l’irritation tout autant et alors qu’elle s’installait près de toi après avoir adressé quelques mots à Galaad, tu pu finalement répondre à l question de ce dernier en te réservant un verre. « Parce qu’il n’y a que dans les ballades des bardes que les histoires finissent bien Galaad. » Ce n’était en aucun cas contre lui et tu plombais peut-être l’ambiance et leur petit jeu, mais au fond, tu avais du mal à faire autrement. Tu échangeas alors un regard avec ton amie sorceleuse, un regard lourd de sens, un regard qui en disait plus que des mots mais, au prix d’un effort certain, tu finis par lui accorder un sourire, certes tinté de tristesse, mais un sourire qui se voulait un tant soit peu réconfortant. Tu repris ensuite une gorgée de vin avant de reporter ton attention vers Rhaegar. « On dirait que tu as gagné ton pari grand frère. Une autre idée de jeu peut-être ? »

b l a c k f i s h